L’eau contaminée, poison durable de Fukushima

L’éventualité du rejet des eaux polluées par la catastrophe nucléaire dans l’océan suscite la colère des pêcheurs.

Par Philippe Mesmer Publié le 12 septembre 2019 à 10h45 – Mis à jour le 12 septembre 2019 à 17h28

Les réservoirs de la centrale Fukushima Daiichi où est stockée l’eau radioactive issue du refroidissement des trois réacteurs dont la coeur a fusionné en mars 2011.
Les réservoirs de la centrale Fukushima Daiichi où est stockée l’eau radioactive issue du refroidissement des trois réacteurs dont la coeur a fusionné en mars 2011. ISSEI KATO / REUTERS

A peine nommé et le voilà rattrapé par la crise nucléaire de Fukushima. Investi le 11 septembre ministre japonais de l’environnement, le très médiatique Shinjiro Koizumi a effectué jeudi 12 septembre une visite remarquée dans le département de Fukushima, dans le nord-est du pays. Après avoir annoncé qu’il souhaitait « étudier comment démanteler les réacteurs nucléaires plutôt que la manière de les conserver » en raison du risque d’être « condamnés si nous laissons un autre accident nucléaire se produire », il a voulu calmer la colère des habitants furieux des déclarations de son prédécesseur, Yoshiaki Harada, au sujet de l’eau contaminée stockée sur le site de la centrale Fukushima Daiichi, théâtre en mars 2011 de la pire catastrophe nucléaire depuis Tchernobyl en 1986, après un séisme et un tsunami dévastateurs.

Pour M. Harada, le seul moyen de se débarrasser de cette eau « sera de la déverser dans l’océan ». L’ex-ministre a précisé qu’il ne s’agissait que de sa « modeste opinion » et que « l’ensemble du gouvernement en discutera ». Il a néanmoins suscité de vives réactions, à commencer par celle de Tetsu Nozaki, responsable de la fédération des coopératives de pêches de Fukushima et fervent opposant au rejet des eaux contaminées dans l’océan.

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Pour lui, les propos de M. Harada sont « irresponsables, compte tenu de sa position ». Les pêcheurs redoutent de voir leurs efforts pour regagner la confiance des consommateurs anéantis. En 2018, leurs prises n’ont pas dépassé 15 % des niveaux d’avant la catastrophe nucléaire.

La question du rejet dans l’océan suscite aussi des inquiétudes en Corée du Sud, pays qui, comme vingt-deux autres, interdit tout ou partie des importations de produits agricoles et des pêches du nord-est du Japon. En pleine querelle politico-commerciale avec Tokyo, Séoul n’hésite pas à exprimer ses craintes pour son industrie de la pêche et à s’interroger sur l’innocuité des produits servis lors des Jeux olympiques de Tokyo en 2020, dont certaines épreuves – base-ball et softball – se dérouleront à Fukushima.

La question des eaux contaminées reste un casse-tête pour le gouvernement nippon et la compagne d’électricité de Tokyo (Tepco), l’opérateur de la centrale. Depuis la catastrophe, dont la résolution devrait prendre quarante ans et coûter 21 500 milliards de yens (181 milliards d’euros, estimation gouvernementale de 2016), l’entreprise doit gérer l’eau issue du refroidissement des trois réacteurs ayant vu leur cœur fusionner, qui se mélange avec des eaux de pluie ou avec celles circulant dans les sous-sols de la centrale.

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Pour en réduire la quantité accumulée quotidiennement, des mesures ont été prises comme le gel d’une partie du sol grâce à un réseau refroidissant souterrain déployé sur 1,5 kilomètre de long, un système à 34,5 milliards de yens (291 millions d’euros) pour empêcher l’eau souterraine d’atteindre les bâtiments des réacteurs endommagés. Mais il n’est pas totalement efficace.

Aujourd’hui, 170 tonnes d’eaux contaminées récupérées dans le circuit de refroidissement sont traitées chaque jour pour tenter de les débarrasser des éléments radioactifs. Une partie est réintroduite dans la boucle de refroidissement des réacteurs. Le reste est entreposé. D’après le site Internet de Tepco, le 22 août (actualisation la plus récente), 1,15 million de tonnes d’eau étaient stockées dans 977 citernes. « Conformément aux plans de construction, la capacité totale de stockage sera d’environ 1,37 million de tonnes d’ici la fin 2020 », explique Tepco. Les limites seront donc bientôt atteintes.

Système d’évaporation ou stockage en sous-sol

Face à l’urgence de trouver une solution, une commission a été chargée en août par le gouvernement de réfléchir à des moyens de se débarrasser de cette eau. Plusieurs options sont envisagées comme un système d’évaporation ou de stockage en sous-sol. Mais la plus souvent évoquée reste le déversement dans l’océan. L’autorité nippone de régulation du nucléaire (ARN), qui a annoncé le 11 septembre l’ouverture d’une nouvelle enquête sur les fuites radioactives à la centrale, n’y serait pas hostile, si l’eau était correctement traitée. Tepco s’engage à « l’épurer à nouveau (traitement secondaire) afin de réduire les quantités de substances radioactives » au cas où « le gouvernement opterait pour un rejet dans l’environnement ».

Difficile pourtant de faire confiance à la compagnie. Pour traiter l’eau, Tepco a recours, depuis 2013, au système de filtres ALPS permettant officiellement de réduire la quantité de nucléides, à l’exception du tritium, un isotope de l’hydrogène. Il a également employé les traitements au césium/strontium ou encore par osmose inverse. Or, en octobre 2018, l’entreprise a admis que « 80 % de l’eau stockée ne respectait pas encore les normes permettant son rejet dans l’environnement ». L’ALPS ne permettrait pas de retirer certains éléments radioactifs dangereux tels que le strontium 90 et l’iode radioactif.