5 octobre 2019

Au procès de Tepco au Tribunal régional de Tokyo, une habitante de la ville de Date a fait ce témoignage poignant. On sait depuis le 19 septembre que les trois anciens dirigeants de Tepco, Tsunéhisa Katsumata, Ichirô Takékuro et Sakae Mutô, n’ont pas été reconnus coupables de négligences ayant entraîné la mort et des blessures. Les procureurs désignés ont fait appel.

 

Auteure : anonyme

Traduction française : Anne Uemura

Nettoyage d'une école dans la ville de Date (Préfecture de Fukushima)

Nettoyage d’une école dans la ville de Date (Préfecture de Fukushima)

Déclaration d’opinion d’une habitante de la ville de Date, présentée au Tribunal régional de Tokyo

« Nous avions le désir d’élever nos enfants dans un environnement proche de la nature et enrichissant. C’est pourquoi nous avons déménagé de la ville de Fukushima pour acheter un terrain dans la ville de Date, là où nous vivons actuellement, pour y construire une maison.
Les remboursements des prêts étaient lourds et nous vivions simplement, mais nous étions heureux.


Huit ans après la construction de notre maison, le 11 mars 2011, l’accident de la centrale s’est produit, et notre vie de famille a été bouleversée. Mon mari et moi avions 42 ans, mon fils était en CM2 et ma fille en CE2.


A cette époque, je n’avais aucune connaissance sur le nucléaire ou sur les substances radioactives. Si j’avais eu quelques notions dans ce domaine, en nous sauvant, nous aurions sans doute pu éviter d’être irradiés. Je suis étreinte par ce regret.


Sans aucune marge financière, je ne pouvais, en pensant à mes enfants qui souffrent de maladie et à mes parents qui sont ici, me résoudre à m’éloigner de chez moi.
Dès le 11 mars, nous n’avions ni eau, ni électricité, ni gaz et je devais me rendre jusqu’aux stations d’eau où j’emmenais les enfants ; pour trouver de quoi manger, nous marchions dehors parfois trempés par la pluie.


Après plusieurs jours, comme nous n’avions toujours pas d’eau, nous avons dû aller jusqu’à la mairie pour utiliser les toilettes. C’est à ce moment-là que j’ai vu un groupe de personnes vêtues de combinaisons de protections blanches entrer dans la mairie. Nous avons pensé qu’ils venaient sans doute aider les victimes du tsunami. Mais maintenant, je comprends que la pollution radioactive était telle que des protections étaient nécessaires, et nous, sans nous douter de rien, nous étions exposés.


Peu après, au moment des cérémonies de remises de diplômes, nous nous sommes rendus à pied à l’école primaire. Je pense que les informations qu’on nous donnait étaient fausses et qu’à cause de cela nous avons été irradiés. A l’époque, j’étais persuadée que, si nous encourions réellement un danger, l’État nous avertirait. 


J’ai appris plus tard que les doses de radioactivité de l’air après l’accident étaient de 27 à 32 microsieverts par heure. Il n’y a eu aucune consigne sur la restriction des sorties en extérieur et c’est extrêmement grave. En juin 2011, je me suis rendue aux funérailles de la grand-mère de mon mari dans sa famille. J’ai emmené mes enfants avec moi. Sur le trajet nous avons remarqué que le taux de radiations était très élevé et dans la voiture le dosimètre affichait à certains endroits 1,5 microsievert par heure. Les représentants de cette zone, avaient demandé aux riverains de ne pas faire de vagues même si la radioactivité était élevée. D’après ce que j’ai entendu, il fallait que les véhicules de reconstruction puissent continuer à emprunter cette route. De même que le Shinkansen (TGV) et l’autoroute du Tohoku devaient à tout prix fonctionner comme si de rien n’était, pour ces mêmes raisons.


En dépit d’un niveau dépassant les limites de doses admissibles, au lieu de nous alerter sur les dangers, on nous assurait être en sécurité. Le risque de cette exposition ne nous a pas été communiqué. En juin 2011, mon fils a été pris de saignements de nez abondants, au point que ses draps étaient tout rouge. Les enfants présentant les mêmes symptômes étaient si nombreux, que nous avons reçu une notice par la « Lettre de santé » de l’école avec des recommandations. Au cours d’un examen médical de l’école, on a découvert une anomalie cardiaque à mon fils et il a dû être surveillé par holter. Mon fils, qui avait 12 ans au moment de l’accident, souffrait alors de dermatite atopique. Après, les symptômes ont empirés au point de devoir être hospitalisé pendant les vacances de printemps en seconde. Aujourd’hui on n’arrive toujours pas à identifier les symptômes qui le font souffrir.
 

Un an après l’accident, ma fille s’est plainte de douleurs à la jambe droite. A l’hôpital, un ostéome extra-osseux a été diagnostiqué et elle a dû subir une excision osseuse l’année suivante. En première année de collège à partir de l’hiver elle n’arrivait plus à se lever le matin. Elle était atteinte d’un dysfonctionnement orthostatique. En accord avec elle, nous avons décidé de la scolariser 3 fois par semaine dans un système à horaires modulables.
 

Le passe-temps favori de mon mari était la pêche, mais depuis l’accident nucléaire, il n’est plus question d’aller à la mer ou à la rivière. Avant l’accident, dans le jardin, nous faisions pousser des fleurs et nous avions un potager. L’été, nous y faisions des barbecues en famille et nous mettions une tente pour que les enfants puissent dormir dehors. Maintenant c’est absolument impossible.


Dans cet environnement gravement contaminé aujourd’hui, l’ADN des cellules serait gravement endommagé. Il faut ajouter que les séquelles liées à l’exposition que nous avons déjà subie sont indélébiles, même si nous déménagions maintenant.


Quand je songe que les enfants sont particulièrement vulnérables à l’irradiation, mon cœur se déchire. En tant que parent, en tant qu’adulte, c’est déchirant et insupportable. Je suis également préoccupée par la situation actuelle de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi.


Ma routine quotidienne consiste à guetter les catastrophes naturelles telles que les tremblements de terre et à vérifier l’état de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi. Parce qu’aujourd’hui je n’hésiterai pas à évacuer. J’ai changé de travail pour être en mesure de me rendre rapidement auprès de mes enfants s’il le faut. 
J’ai dû abandonner un travail à plein temps et c’est financièrement difficile, mais la priorité est de pouvoir partir vite à tout moment. Car après avoir vérifié toutes sortes d’informations, j’ai compris que les annonces du gouvernement divergeaient de la réalité.


Vivre dans un environnement radioactif vous oblige à être vigilant sans relâche, que ce soit pour vos courses, pour manger, ou pour boire de l’eau, et à évaluer vous-même la situation pour faire des choix. Nous avons dû nous résoudre à accepter un mode de vie anormal pour arriver à continuer à vivre au jour le jour. 


Quoi que je fasse, tout plaisir a disparu de ma vie. 


J’ai découvert qu’il y avait à côté de chez moi sur le chemin de l’école de mes enfants des spots de plus de 10 microsieverts par heure. Je l’ai signalé à la mairie, mais ils n’ont rien fait. La raison invoquée est qu’il n’y a pas de stockage temporaire pour entreposer les déchets. J’ai dû retirer moi-même la terre contaminée et je l’ai stockée dans mon jardin.


La ville de Date a décidé de sa propre politique de décontamination et a instauré également fin 2011, une norme de 5 mSv / an. En ce qui me concerne, je voulais réduire la pollution radioactive le plus tôt possible et j’ai décontaminé mon jardin moi-même. La ville encourageait les gens à décontaminer par leurs propres moyens. Je l’ai fait aussi. Et cela représentait 144 sacs. L’année suivante j’ai recommencé. Les sacs de débris radioactifs résultant de la décontamination jusqu’en mars 2014 sont restés entreposés dans mon jardin pendant 2 ans, et ont ensuite été emmenés dans une zone de stockage temporaire enfin mise en place. Mais depuis, les autres sacs de nettoyage n’ont pas été accepté et sont toujours dans mon jardin. A cause de cela nous n’y mettons plus les pieds. 


La contamination de notre abri de voiture s’élevait à 520 000 becquerels il y a 5 ans, avec 5 microsieverts par heure, mais elle n’entrait pas dans les critères requis pour être nettoyée. La « décontamination officielle » n’inclut que le terrain de résidence, mais ni le toit, ni les gouttières ne sont pris en charge. De ce fait nous ne pouvons plus laisser nos velux ouverts.
 

La ville de Daté, prétendant se soucier de la santé des habitants, a fourni à tous les résidents des dosimètres. Nous avons ensuite été invités à subir des examens, pendant lesquels nos données ont été collectées. Sans l’autorisation des résidents, ces données ont été confiées à des chercheurs externes qui ont rédigé des rapports. Ces rapports ont été élaborés sur la base d’informations personnelles obtenues illégalement, et de surcroit une falsification des données est suspectée. Sur la base de données inexactes, le rapport a conclu que même à des doses de 0,6 à 1 microsievert par heure dans l’air, la dose individuelle reçue serait inférieure à 1 millisievert par an et que, par conséquent, il n’était pas utile de décontaminer. Il s’agit d’une sous-estimation de l’exposition, et clairement d’une violation des droits de l’homme à l’encontre de la population. Cette affaire est toujours en cours.


Dans cette même région, on voit apparaitre des leucémies et des cancers rares des voies biliaires. Je ne peux m’empêcher de penser qu’avant l’accident cela n’existait pas. Aujourd’hui encore, alors que l’état d’urgence nucléaire est toujours officiel, cette situation anormale est devenue notre quotidien. 


Je crains que la « reconstruction » prônée par l’État ne bafoue les droits fondamentaux des résidents et que cette vie inacceptable ne soit désormais considérée comme normale. Nos vies sont au point mort.


Cette souffrance va continuer.

 

Mon désir le plus profond est qu’à travers ce procès, la responsabilité de l’État et de Tepco qui a causé l’accident soit reconnue. »