Fukushima, Situation sous Contrôle ?

Lurinas 18 juillet 2019

Le Japon est passé tout proche de la catastrophe majeure irrémédiable, grâce à une maîtrise toute particulière des premiers jours. Si le danger immédiat est éloigné, les dégâts sont nombreux et leur gestion soumise à une rigueur pointilleuse afin d’en éviter les conséquences encore potentielles menaçantes tels les rayonnements ionisants, les territoires contaminés… Nous allons revenir cette fois sur la situation actuelle des réacteurs, les projections établies à court et moyen termes de la centrale de Fukushima et les solutions envisagées pour contenir définitivement le monstre en sommeil. Mais voilà, rien n’est simple. Fukushima, situation sous contrôle ? 

Le Japon pourra regretter longtemps d’avoir ignoré les avertissements, minimisé le risque d’un tsunami de quinze mètres sur la centrale, alors qu’une vague similaire avait déjà fait plus de 20 000 morts en 1896, avec une hauteur atteignant plus de trente mètres en certains endroits. Et alors même qu’un organisme d’Etat avait estimé non négligeable cette probabilité dès 2002 au large des côtes de Fukushima. Un point aveugle finalement coûteux pour la société japonaise. Il reste avéré que des nécessités financières l’auront emporté sur l’ingénierie et la rentabilité sur la sûreté, ce qui aura pesé dans certains arbitrages. Un rapport du parlement japonais (version française par là) a d’ailleurs révélé la collusion entre les gouvernements antérieurs et l’exploitant.

L’avantage (sic) des anciennes catastrophes nucléaires civiles réside au moins dans leurs problèmes soulevés, les retours d’expérience… Afin de rendre plus efficientes les réactions futures face à de tels événements exceptionnels. Nous avons étudié le contexte particulier qui a prévalu durant ces cinq premiers jours au sein de la centrale même (épisode 2 du préquel) et les questions qu’il a générées.

Mais voilà, loin de nos caméras, la tragédie est pourtant toujours en cours autour de la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi. Dès le premier jour de la catastrophe, le gouvernement japonais a déclaré l’état d’urgence nucléaire. Tous les résidents ont été évacués, dans un rayon de 3, puis 10 et enfin 20 kilomètres de la centrale (nous reviendrons sur les conditions de vie de la population dans un quatrième volet final).  Aujourd’hui, le mouvement général au Japon est à reprendre le cours normal de la vie nippone, à travers le retour des habitants depuis le printemps 2017, cependant que la Tokyo Electric Power Company (Tepco,  l’exploitant de la centrale, pour mémoire) s’essaye à reprendre le contrôle des installations, programmer l’évacuation des débris des trois cœurs (ce que l’on nomme les coriums) puis la démolition complète du site nucléaire.

Mais quelle est donc la véritable situation actuelle sur cette zone et alentours ? Quelles sont les solutions envisagées pour continuer à maitriser les éléments radioactifs ? Quel est l’avenir de ce site ?

Les grandes manœuvres

Depuis mars 2011 et les manquements révélés (tels que les falsifications des rapports d’accident de la centrale par Tepco), le gouvernement japonais s’essaye également à plus de transparence sur la gestion quotidienne post-catastrophique. Tout un apprentissage : ce n’est ainsi par exemple que deux mois après, en mai 2011, que le gouvernement a reconnu le fait que trois des six réacteurs étaient rentrés en fusion, alors qu’il disposait de cette information dans les heures suivant le tsunami.

Dès décembre 2011, Tepco annonçait l’arrêt à froid (technique qui consiste à stopper un réacteur en situation normale pour changer les barres de combustible par exemple, la température dans la cuve du réacteur descendant alors sous 100°C), laissant envisager la fin de l’état d’urgence et le début de la réhabilitation. Les dégâts étaient tels et les tâches restent si nombreuses que ce sont près de 20 000 travailleurs qui sont intervenus depuis mars 2011. Dans ce genre de situation extrême, comme à Tchernobyl en 1986, c’est au dévouement et aux risques pris par les premiers intervenants que le gouvernement doit d’avoir limité l’ampleur de la catastrophe pour la population japonaise et l’environnement. Les premières interventions se sont faites à l’extérieur, avec peu de moyens. Il a fallu rétablir les lignes électriques, déblayer les débris, souvent avec du matériel télécommandé, immobiliser la contamination au sol et sur les murs par pulvérisation de plastifiants, remonter des diesels et des pompes, rehausser la digue anti-tsunamis. Ces premiers intervenants sont appelés les « liquidateurs », les robots n’étant d’aucune utilité puisqu’ils tombent en panne à cause des radiations élevées mettant en ruine leurs circuits électroniques. Ces équipes d’intervention étaient constituées d’employés de Tepco et de travailleurs recrutés pour la circonstance, attirés par des primes de risque, voire des retraités de Tepco.

Actuellement, des rejets radioactifs pouvant encore être déplorés. La première des actions est de continuer d’arroser les réacteurs, pour lesquelles des équipes se relaient en permanence. Conséquence directe : de l’eau contaminée s’accumule (l’injection d’environ 70 m3 d’eau par jour s’effectuant dans chacun des réacteurs 1, 2 et 3).

Dans le réacteur 3, le cœur a fondu. La radioactivité est encore tellement forte qu’il est impossible de rester plus de dix minutes au sein de l’enceinte. Une explosion d’hydrogène a détruit le bâtiment réacteur. Tous les débris de la partie haute ont été retirés à l’aide d’engins télécommandés et un nouveau bâtiment avec un toit est terminé. Le retrait des combustibles devait débuter en novembre 2018 pour se terminer en 2019 ; finalement l’opération a été retardée puis repoussée en avril 2019. Un retard cumulé de 4 ans a été enregistré par rapport aux plans initiaux, ce qui est conséquent pour cette tranche d’importance rassemblant 566 assemblages usés dans sa piscine. Il y aurait enfin entre 188 et 394 tonnes de corium (mélange aggloméré formé des combustibles nucléaires, des structures métalliques fondues et des bétons du radier sur lequel reposait l’enceinte réacteur). 3000 personnes y travaillent encore sans pouvoir s’en approcher. Les conditions administratives ne comprennent pas d’examens réguliers, quant aux listes précises des ouvriers intervenants, elles souffrent de quelques lacunes.

Les réacteurs 5 et 6 ont été déchargés depuis l’accident et un générateur diesel de secours était encore fonctionnel, si bien que la fusion des cœurs a été évitée sur cette tranche. Ces réacteurs vont être démantelés.

La cuve du réacteur 4 était vide depuis le 11 mars 2011. Aucune fusion ne pouvait se déclarer, mais une explosion sans doute due à l’accumulation d’hydrogène dans l’enceinte a détruit le bâtiment réacteur. Depuis décembre 2014, la piscine de combustible du réacteur (où sont entreposées les barres radioactives usées, pour refroidissement), la plus dangereuse de toutes, a été vidée et les travaux sont arrêtés.

Le réacteur 2 a souffert également d’une fusion du cœur, mais le bâtiment réacteur est entier. Les travaux de récupérations des combustibles usés de la piscine n’ont pas débuté. De nombreux robots ont été envoyés dans l’enceinte de confinement afin de localiser le corium, sans succès jusqu’à janvier 2018. Une seule expédition, faute de radioactivité élevée perturbant définitivement les circuits électroniques, a permis de récupérer des séries d’images grâce auxquelles des dépôts provenant de la dégradation du corium et un élément d’assemblage de combustible tombé au fond de l’enceinte de confinement ont été observés. Il y aurait entre 189 et 390 tonnes de corium dans ce réacteur, avec une valeur nominale à 237 tonnes.

Le réacteur 1 a subi une fusion du cœur et une explosion d’hydrogène a détruit son bâtiment. Recouvert d’une nouvelle structure en 2011, elle a été entièrement démantelée en novembre 2016. La piscine de combustibles a été vidée. Il y aurait entre 232 et 357 tonnes de corium dans ce réacteur, avec une valeur nominale à 279 tonnes.

Les débris de combustible (les coriums) dans les trois réacteurs restent un problème majeur car ils ont fondu à travers les cuves : une méthode de traitement et d’élimination doit être validée à partir de 2022. Le corium de Fukushima, cette masse fondue au cœur du réacteur demeure donc encore totalement immaîtrisable. Après l’accident, Tepco et le gouvernement ont émis l’hypothèse que la plupart des cœurs avaient fondu dans le réacteur et s’étaient arrêtés à l’intérieur. Le scénario envisageait que les coriums s’amasseraient à l’intérieur du piédestal, intacts au fond du récipient de confinement. Permettant d’émettre le vœu de récupérer les cœurs fondus dans 30 à 40 ans et de les stocker dans un navire, laissant conclure à une gestion complète et paisible de la catastrophe.

Fin 2017, Tepco explorait avec des robots le dessous des cuves accidentées pour localiser précisément le corium. Ce qui n’était pas une mince affaire. Cela fait plusieurs fois que le gouvernement et Tepco ont essayé d’envoyer des robots. Mais, nous vous l’avons précisé, la radioactivité est si forte qu’elle interfère sur les circuits intégrés, si bien qu’aucun robot ne revenait de sa mission jusqu’à maintenant. Fin janvier 2018, Tepco a réussi à introduire une caméra de contrôle à distance, semblable à un gastro-oscilloscope, à l’intérieur du socle sur lequel repose le réacteur. On y découvrait alors que le cœur fuyait à travers un grand trou au niveau de la structure métallique, dégageant une radioactivité de 20 Sv par heure (le seuil admissible maximum pour un humain est de 8 Sv). Sur le chemin du réacteur, les rayons ont parfois atteint des taux de 530 à 650 Sv…

(Intérieur réacteur 2 de Fukushima, janvier 2018)

Actuellement, les quatre réacteurs de la centrale Daiichi sont toujours éventrés, et 3000 liquidateurs travaillent tous les jours pour les démanteler. A terme, les parties hautes des réacteurs nettoyées, il faudra ensuite installer des structures de protection, un pont roulant, et un dispositif permettant d’extraire les combustibles puis de les introduire dans un conteneur de transport.

Globalement, Tepco ignore où se trouvent exactement les cœurs des réacteurs fondus. L’injection d’eau dans les réacteurs pour le refroidissement est toujours en cours et constant (à raison de 3 m / heure dans chaque réacteur) provoque une contamination radioactive de plusieurs centaines de tonnes d’eau par jour et la direction de Tepco est astreinte à construire plus de 1000 réservoirs à l’intérieur du site pour entreposer l’eau contaminée. La quantité d’eau contaminée des réservoirs dépasse déjà un million de tonnes depuis quelques mois.

Le traitement et le stockage des eaux contaminées constitue un chantier imposant. Même si une partie importante de l’eau utilisée pour refroidir les coriums provient de la réutilisation d’eau décontaminée, le stock continue d’augmenter. Les différents systèmes de décontamination des eaux permettent de récupérer la presque totalité des radio-éléments, en particulier le césium et le strontium (dans une partie du stock, le tritium est toujours là). Concernant la situation actuelle, le traitement des eaux au tritium (cet autre élément radioactif), plus de 1.2 millions de mètres cube d’eau, sont stockées sur le site saturé. Par conséquent, il est nécessaire de développer la capacité de stockage ou de trouver d’autres solutions. Tepco prévoit d’ajouter d’autres réservoirs à un taux d’environ 500 m3 de capacité par jour et sa capacité sera d’environ 1,37 million de tonnes d’ici 2020. La commission de régulation de l’Energie Nucléaire (NRA) a demandé à plusieurs reprises le rejet en mer de l’eau traitée, mais toujours tritiée, mais la préfecture de Fukushima et les communautés locales n’ont pas accepté (avec le soutien des pêcheurs notamment). Dans le même temps, la NRA propose de supprimer 2400 bornes de mesure de la radioactivité installées dans le département de Fukushima (à l’exception de 12 municipalités basées dans la zone à évacuer)…

Des actions sont engagées pour limiter les écoulements d’eau contaminée vers l’océan. Des revêtements imperméables ont été mis en place sur les sols extérieurs pour limiter l’infiltration des eaux de pluie. Douze puits ont été mis en service à partir d’avril 2014 en amont de la centrale afin de pomper les eaux souterraines en vue de les rejeter à l’océan avant qu’elles ne se contaminent en passant sous les réacteurs accidentés. Le pompage des eaux contaminées autour des réacteurs a débuté en septembre 2015.

D’un point de vue ingéniérique, Tepco met en place depuis juin 2014 un mur de glace : le sol est alors gelé autour des réacteurs 1 à 4, sur une profondeur de 27 mètres et une longueur de 1,4 kilomètres, grâce à une solution réfrigérante (– 30°C) circulant dans un dense réseau de tuyaux. L’efficacité de cette mesure est mise en doute, certaines portions ne parvenant pas à geler (un bétonnage a alors été préféré sur certaines zones).

Enfin, un mur de 900 mètres de long environ a été mis en place le long de l’océan pour limiter l’écoulement des eaux contaminées vers le milieu marin. Dès novembre 2015, une courbure du mur a été constatée sous l’effet de la pression liée à l’accumulation des eaux souterraines.

Alors que les infiltrations étaient d’environ 450 m3 par jour, elles sont descendues à 150 m3/j et devraient diminuer à 100 m3/j.  Les eaux détournées et pompées sont ensuite rejetées à la mer dès lors qu’elles affichent les valeurs réglementaires très basses. Les eaux pompées en aval des réacteurs sont traitées et décontaminées avant rejet.

Passées ces huit premières années, le déchargement du combustible usé des piscines et l’enlèvement des débris ont donc encore été retardés. Quant aux travaux de décontamination, ils se poursuivent dans la préfecture de Fukushima. Environ 16,5 millions de mètres cubes de sols contaminés ont été générés (pour une facture d’environ 26 milliards de dollars). Le gouvernement élabore des plans pour des installations de stockage provisoire (30 ans certainement) des déchets radioactifs dans la préfecture de Fukushima. En dehors de la préfecture de Fukushima, des sols contaminés sont conservés dans chaque municipalité locale, soit plus de 28 000 emplacements (plus de 333 000 m3 au total). Ces déchets sont destinés à être stockés et éliminés dans chaque municipalité locale sans construire de stockage intermédiaire.

Le projet expérimental vise à recycler les terres décontaminées. Elles pourraient être utilisées comme soubassements. A Iitate, ce matériau devrait servir à surélever des terres agricoles dans une zone si contaminée que les directives d’évacuation y sont encore d’actualité.

La grande facture ouverte

En 1961, la loi japonaise sur la réparation des dommages nucléaires a été promulguée. Elle contraint tout exploitant à débloquer une « réserve de sécurité » d’un milliard d’euros (120 milliards de yen), avant même de se lancer dans l’exploitation des centrales nucléaires, puisqu’il est tenu responsable (« responsabilité illimitée ») pour les dommages nucléaires qu’il a causés, même s’il n’a pas commis de faute. Mais elle prévoit aussi de rendre nulle la responsabilité de l’exploitant en cas de « catastrophes naturelles majeures ». Devant l’ampleur des réactions suscitées dans la population nippone, Tepco a finalement décidé de ne pas demander d’exonération. Seulement, il est rapidement apparu que l’énorme somme d’indemnisation dépasserait les ressources financières de la seule compagnie.

Les estimations oscillent entre 250 et 500 milliards d’euros, que l’État japonais a en fait avancé pour partie (incluant les indemnités versées aux victimes). Car les défis techniques et financiers à relever restent colossaux. Les dernières estimations officielles seraient de l’ordre de plus de 65 milliards d’euros pour le seul démantèlement de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi. A cela s’ajoute le montant des indemnisations donc, la décontamination des territoires et l’entreposage des déchets issus de cette décontamination.

En attendant, le procès pénal de Tepco et de ses dirigeants a débuté courant 2018.

Les conditions de travail extrêmes

Nous l’avons évoqué, aucun humain ne peut s’approcher d’un des réacteurs endommagés. L’utilisation de robots télécommandés est privilégiée dans un environnement radioactif où les taux atteignent 530 sieverts par heure. Même en utilisant des robots, le travail ne peut être effectué que pendant des durées très courtes, car les robots ne peuvent supporter que moins de deux heures d’exposition.

Longtemps l’accès aux bâtiments a été interdit par la présence d’eaux très radioactives dans les sous-sols. Trois techniciens furent d’ailleurs irradiés pour avoir marché dans une flaque d’eau et deux d’entre eux furent hospitalisés quelques jours pour des brûlures. Plus largement, la question des conséquences sanitaires des intervenants devra être abordée. De 6000 à 8000 salariés travaillent quotidiennement sur le site. Officiellement, quatre travailleurs ont eu à souffrir de maladies professionnelles reconnues comme résultant de l’accident de Fukushima : trois cas de leucémie et un cas de cancer de la thyroïde, sur les 20 000 personnes qui ont œuvré sur le site entre décembre 2011 et mars 2014 selon les études épidémiologiques (période pendant laquelle la limite de dose avait été portée de 100 mSv à 250 mSv par an pour permettre aux travailleurs d’effectuer des travaux d’urgence).

Oui, en situation d’urgence, on relève les normes sanitaires pour permettre d’intervenir. La loi autorise ainsi (avec l’aval de l’AIEA, l’agence internationale de l’énergie atomique) pour les travailleurs du nucléaire une exposition cumulée maximum de 250 mSv (valeur pour laquelle la probabilité de contracter un cancer est voisine de 1%).
À la fin 2016, 174 travailleurs avaient dépassé 100 mSv, une estimation probabilistique présageant que 2 à 3 cas de cancers additionnels pourraient survenir en plus des 70 cancers environ attendus en l’absence d’exposition. Selon les chiffres officiels, trois décès parmi les travailleurs de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi ont été ajoutés aux 64 travailleurs décédés des conséquences de leur travail.

Dans le même temps, la norme est modifiée également pour la population civile de 1 à 20 msv/an.

Avenir rose fuchsia phosphorescent

En septembre 2017, le gouvernement japonais a révisé la feuille de route à moyen et long termes relative au processus de démantèlement de la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi pour lequel trente à quarante ans semblent s’avérer officiellement nécessaires. Huit ans après l’accident, les actions pour maîtriser les installations se poursuivent donc avec l’objectif d’aboutir au démantèlement d’ici 30 à 40 ans. Attendez, nous vérifions… Oui, c’est l’estimation actuelle : le démantèlement est envisagé dans un calendrier de 30 à 40 ans ! Cela correspond au retrait des combustibles présents dans les piscines des réacteurs, au retrait des combustibles dégradés et enfin au démantèlement complet des installations.

Quant aux coriums, ces magmas plus ou moins liquides de très hautes températures et radioactivité, ils ne seraient récupérés au mieux avant 2025, si les programmes de recherche robotique afin de développer des moyens d’investigation complémentaires à ceux déjà mis en œuvre et de concevoir les moyens nécessaires le permettent…

Brèfle, dans ce calendrier irréaliste, les travaux de restauration se poursuivent à Fukushima. Ce qui n’est pas une mince affaire compte tenu de l’état de nos connaissances et du niveau d’intervention et compétences dans ce type de contexte. Et la reconstruction semble en certaines zones s’effectuer selon des considérations des droits de l’homme ‘assez révisées’. De grandes quantités de déchets de décontamination sont en effet stockées dans des zones où l’ordre d’évacuation a été levé et l’exposition aux rayonnements n’y est pas entièrement sous contrôle.

Par ailleurs, la baisse de la radioactivité et les travaux de décontamination dans les territoires contaminés ont permis de lever l’ordre d’évacuation dans la quasi-totalité des zones où le retour était envisageable à court ou à moyen terme. Le choix pour les résidents est alors faussement cornélien : retourner dans leur zone d’habitation alors que les conditions sanitaires ne sont pas encore efficientes ou rester éloignés de la préfecture de Fukushima alors que tout soutien financier est levé pour ceux autorisés à rentrer.

Une telle catastrophe impacte durablement un pays, quel qu’il fusse. En termes de gestion des populations, des territoires contaminés, de réparations pour les générations futures, d’impacts sanitaires… Au-delà de son anticipation, dans quelle mesure la reproduction de ce type d’événement peut-elle voir ses conséquences amoindries ?

Qu’apprend-on vraiment d’une catastrophe ?

Le chercheur Kohta Juraku travaille en recherche sociale qualitative au département des sciences humaines et sociales de l’Université de Tokyo Denki. Sa problématique est par exemple de savoir « pourquoi [il est] si difficile d’apprendre des accidents ».

Prenons SPEEDI, le système de simulation en temps réel pour la radioprotection développé et mis en œuvre sur 30 ans. Il a manqué à sa mission attendue lors de la catastrophe de 2011 : sa sortie n’a jamais été diffusée pour aider à l’évacuation dans la phase aiguë de la catastrophe. De ce secret gouvernemental injustifié, Kohta Juraku en retient les facteurs qui ont entraîné un débat animé quant à l’utilité pratique de SPEEDI. Après l’accident nucléaire, dans ce même ordre d’idée, c’est l’ensemble de la société japonaise qui a souhaité rapidement mener des enquêtes afin d’identifier la cause première de la catastrophe. Quatre grandes commissions d’enquête ont mené des investigations sur les accidents et publié leur rapport final au milieu de l’année 2012. Toutefois, cela ne signifie pas nécessairement que les processus, les causes, les antécédents et les impacts de l’accident nucléaire de Fukushima ont été bien appris.

Comment cela ? Prenons les ingénieurs nucléaires nippons.

Estimant que leurs connaissances techniques étaient suffisantes pour comprendre ce qui n’allait pas et pour atténuer la crise, ils ont alors cherché à assurer au public que l’état des centrales nucléaires paralysées de Fukushima n’était pas aussi grave que ce qu’il paraissait. En réalité, les problèmes qui se sont posés lors de la crise nucléaire de Fukushima ont dépassé les attentes des ingénieurs. En se concentrant sur la période d’urgence de la catastrophe nucléaire de Fukushima, il ressort que des biais épistémologiques ont incité les ingénieurs nucléaires japonais de haut niveau à effectuer des évaluations inexactes, ce qui a entraîné une crise prolongée.

Juraku avance le concept d’ingénierie robuste et la façon dont il est utilisé pour surestimer la capacité du système nucléaire à résister aux chocs externes. Aussi, les résultats de toutes ces enquêtes ont plutôt permis de sanctionner l’industrie nucléaire, de produire des réformes de réglementation au lieu de s’interroger sur les systèmes technologiques complexes et à haute fiabilité, ainsi que leurs défaillances.

Alors qu’attendre d’un tel accident nucléaire du point de vue de l’apprentissage ? Concernant les déficits en matière de gouvernance des risques du programme nucléaire ? La résilience doit-elle être le nouveau paradigme en matière de sûreté nucléaire ? Quelles éthiques dans le processus d’apprentissage social post-accidentel ?

Juraku affirme que certains déficits de la gouvernance nucléaire japonaise sont restés, voire se sont trouvés aggravés par rapport à avant l’accident de Fukushima. L’opinion publique reste ainsi majoritairement négative sur le programme nucléaire dans son ensemble, sur les organisations concernées et sur le redémarrage de centrales nucléaires modernisées, tandis que l’administration Abe (premier ministre de la péninsule) a officiellement décidé de maintenir l’utilisation de l’énergie nucléaire au Japon en tentant de rétablir la confiance du public.

Un accident nucléaire grave aurait pu être interprété comme l’un des cas les plus extrêmes et les plus typiques d’accident d’organisation avec des conséquences graves. Il va sans dire que l’affaire Fukushima a été la première expérience de ce type pour la société japonaise. L’un des problèmes centraux des problèmes de Fukushima est qu’il n’a pas été mis à profit de façon efficiente. Parce que les réponses qui pourraient être légitimement apportées reposent sur autre chose que des chiffres.

Opération HNK

Les causes structurelles de ce type de catastrophe se résument dans le fonctionnement du « secret institutionnalisé ». L’accident nucléaire de Fukushima aurait été causé par des insuffisances techniques associées à des obstacles institutionnels. Et c’est certainement là le problème principal inhérent. Qui pourrait se reproduire dans n’importe quel pays industrialisé nucléarisé si l’expérience ne servait à rectifier ces biais.

Ainsi, les nombreuses questions que pose la sûreté des centrales méritent d’être débattues. Toutes celles perçant sous les articles dédiés à Fukushima, mais aussi celles liées à l’absence de diesels d’ultime secours, et les récents reproches du président de l’Autorité de sûreté nucléaire à EDF et Orano sur leur médiocre réactivité en matière de sûreté et le non-respect de leurs engagements. Notre pays, nucléarisé comme aucun autre, ne peut se permettre de ne pas aborder toutes les problématiques liées à ce secteur industriel particulier.

C’est, au-delà des débats publics et consultations en cours, toute la lumière que nous nous apprêtons à faire sur le nucléaire en France. Un dernier épisode du préquel de notre projet vous sera proposé prochainement : il concernera la vie de la population dans ce contexte post-catastrophique.

Opération HNK in progress !

Lurinas