Nucléaire : le calendrier du démantèlement de Fukushima revu, le rejet d’eau envisagé dans la mer

 Le site de la centrale nucléaire de Fukushima, au Japon, vu d’hélicoptère le 23 avril 2019. Le site de la centrale nucléaire de Fukushima, au Japon, vu d’hélicoptère le 23 avril 2019.  MAXPPP/Kyodo

Près de neuf ans après la catastrophe du 11 mars 2011 au Japon, les opérations de décontamination de la centrale nippone sont encore en cours. Des experts français décryptent ce chantier titanesque.

Il a fallu douze ans, entre 1967 et 1979, pour construire les six réacteurs de la centrale de Fukushima. Le chantier de décontamination et de déconstruction du site, ravagé par la plus grosse catastrophe nucléaire de ce début de XXIe siècle, sera autrement plus long : près d’un demi-siècle.

Presque neuf ans après le passage du tsunami qui a ravagé les installations et provoqué la fusion des cœurs de trois réacteurs, le 11 mars 2011, les opérations de nettoyage sont devenues un inextricable casse-tête pour les autorités nippones, qui viennent d’annoncer que le calendrier de démantèlement serait décalé, et que l’eau contaminée serait sans doute rejetée… en mer. Tout en confirmant que les forêts alentour ne seront, elles, jamais nettoyées.

Des montagnes de terres contaminées

Au lendemain de la catastrophe, les autorités nippones ont mené un gigantesque chantier de décontamination des sols des zones touchées par le panache de fumées radioactives. Onze municipalités avaient été évacuées et quarante autres touchées par des niveaux de pollution plus faibles. Une région de 9000 km2 où il a fallu décaper les sols pour éliminer notamment les traces de césium, qui peut subsister trois siècles dans l’environnement !

« C’est la première fois qu’un tel effort d’assainissement est fait à la suite d’un accident nucléaire, relève Olivier Evrard, 16 000 ouvriers y ont participé ». Ce chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement a rassemblé les résultats d’une soixantaine d’études publiées sur le sujet, en collaboration avec deux collègues canadien et japonais. Pour assainir les terres cultivées, les autorités ont décapé la couche superficielle du sol sur une épaisseur de 5 cm. « Ce qui a permis de réduire les concentrations en césium d’environ 80% dans les zones traitées » souligne l’étude.

Mais cette opération a coûté très cher (24 milliards d’euros) et généré des montagnes de déchets : 20 millions de m3 soit… 8000 piscines olympiques ! Ils seront stockés pendant plusieurs décennies à proximité de la centrale avant d’être envoyés dans des sites de stockage définitif en dehors de la préfecture de Fukushima à l’horizon 2050.

Les forêts n’ont pas été assainies

Dans les zones plus éloignées de la centrale, Tokyo n’a pas procédé au décapage des terres, mais répandu sur le sol des substances connues pour fixer le radiocésium ou pour s’y substituer. « Concernant les zones boisées, seules celles qui se trouvaient dans un rayon de 20 mètres autour des habitations ont été traitées », explique l’étude française coordonnée par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et le Commissariat à l’énergie atomique (CEA).

Les branches ont été coupées et les décontaminateurs ont ramassé la litière des feuilles mortes. Les zones résidentielles ont également été passées au tamis : curage des fossés, nettoyage des toitures et des gouttières, assainissement des jardins et potagers. « Les activités de décontamination ont ciblé principalement les paysages agricoles et les zones résidentielles, mais les forêts n’ont pas été assainies à cause de la difficulté et des coûts très importants que représenteraient ces opérations », relèvent les chercheurs.

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Or ces forêts couvrent 75% des surfaces situées au cœur du panache radioactif. « Elles constituent donc un réservoir potentiel à long terme de radiocésium qui peut être redistribué à travers les paysages suite à l’érosion des sols et aux crues, prévient Olivier Evrard. En octobre dernier, deux typhons très violents ont traversé la région provoquant des débordements de cours d’eau et des glissements de terrain ».

La « mauvaise réputation » Fukushima

Malgré ce colossal chantier de décontamination, certains villages, comme Iitaté, qui comptait 7000 habitants avant la catastrophe, n’ont retrouvé que 10 à 15% de ses habitants. Essentiellement des personnes âgées.

« La plupart des gens évacués en 2011 ont refait leur vie ailleurs et tout l’enjeu des autorités est de faire repartir la vie dans cette grosse région agricole, en attirant les jeunes, mais il y a désormais une mauvaise réputation accolée au nom de Fukushima, souligne Olivier Evrard. Pour les prochains Jeux olympiques, les épreuves de base-ball auront lieu dans la préfecture, mais la délégation sud-coréenne a peur que l’on nourrisse ses athlètes avec des produits venant de la région alors qu’ils subissent un contrôle radiologique très strict ». Pour l’heure, la pêche est toujours interdite dans les rivières de la région.

L’eau contaminée sera rejetée dans le Pacifique.

La veille de Noël, les autorités japonaises ont affirmé que le rejet en mer ou dans l’air (par évaporation) de l’eau contaminée qui souille le site de la centrale était l’unique option restante, les experts excluant désormais son stockage à long terme sur le site nucléaire.

Une immense quantité d’eau souillée est présente sur place, stockée dans un millier de réservoirs qui seront pleins d’ici deux ans. A l’heure actuelle, ces citernes contiennent 1 100 000 m3 d’eau contaminée, soit l’équivalent de 366 piscines olympiques ! Ces liquides contaminés proviennent des ruissellements de pluie, des nappes souterraines qui remontent dans les sous-sols des bâtiments et des injections d’eau nécessaires au refroidissement des cœurs des réacteurs entrés en fusion. « L’option d’un simple stockage à long terme n’est plus envisagée », reconnaît un fonctionnaire d’Etat.

« L’entreprise a étudié plusieurs solutions, comme d’injecter ces eaux dans le sol entre deux couches imperméables ou de l’emprisonner dans des blocs de béton, mais la rejeter dans l’océan après l’avoir traité au maximum en étalant les rejets sur une dizaine d’années est la solution techniquement la plus raisonnable », explique le directeur général adjoint de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) Thierry Charles. Cela reste infaisable pour l’heure, tant l’eau est encore chargée d’éléments radioactifs dangereux pour la chaîne alimentaire. Les pêcheurs et défenseurs de l’environnement y sont catégoriquement opposés. De même que la Corée du Sud.

Cinq ans de plus pour retirer le combustible usé

Imaginez un jeu de mikado géant mais où les bâtons imbriqués les uns dans les autres seraient des barres de combustible hautement radioactives. Eh bien, c’est à peu près le casse-tête auquel est confronté Tokyo Electric Power (Tepco), qui gère le démantèlement.

L’opération est tellement périlleuse que le gouvernement japonais et l’entreprise ont décidé de différer de quatre à cinq ans le retrait du combustible usé toujours présent dans la piscine de stockage du réacteur numéro 1. Initialement prévue début 2023, cette séquence ne démarrera pas avant 2027 au plus tôt. Même choix pour le réacteur numéro 2. « Le retrait du combustible usé est en cours dans la piscine du réacteur 3 et c’est une succession de problèmes », a reconnu peu avant le passage à 2020 un porte-parole de Tepco, mettant en avant une priorité : la sécurité des travailleurs.

Thierry Charles s’est plusieurs fois rendu sur le site industriel, qu’il compare à une « ruche » où se croisent plusieurs milliers d’ouvriers. Le fameux bâtiment 3 est celui qui a subi l’explosion la plus forte lors de la catastrophe. « Il a fallu nettoyer les abords à distance, avec des grues et des robots, car il y a trop de rayonnements et la superstructure du bâtiment était couverte d’un tas de gravats », explique-t-il. Sur les images de l’intérieur diffusées par l’autorité japonaise de sûreté nucléaire, on aperçoit des portes fracassées, des décombres partout, des tuyauteries déchiquetées et les niveaux de radiation sont si élevés qu’aucune intervention humaine n’y a été possible depuis 2011.