11 mars 2021
Fukushima Daiichi : l’actualité du 11 mars 2021
Difficile de décrire 10 ans en un seul article. Je ne m’y risquerai donc pas aujourd’hui, d’autant plus que j’ai réalisé un dossier documentaire de 10 pages pour la dernière BD de Bertrand Galic et Roger Vidal qui retrace les 5 premiers jours de la catastrophe : Fukushima – Chronique d’un accident sans fin. Je vous la conseille évidemment car elle nous plonge au cœur de la catastrophe nucléaire du point de vue du directeur de la centrale, Masao Yoshida, ce qui est une nouveauté. Cette approche a pu être possible grâce à la publication, quelques années plus tôt, du témoignage de Yoshida par les Presses des Mines en plusieurs volumes sous la direction de Franck Guarnieri. Beaucoup d’autres documents sortent à l’occasion de ce triste anniversaire. J’y reviendrai un peu plus tard. Voyons plutôt pour l’instant les derniers évènements à la centrale de Fukushima Daiichi.
Une radioactivité phénoménale
Le saviez-vous ? L’information a été largement diffusée au Japon à l’automne 2020 : les inspecteurs de la NRA (l’Autorité de sûreté nucléaire du Japon) ont relevé des débits de dose de 10 Sievert/heure au-dessus des dalles fermant les enceintes de confinement des réacteurs 2 et 3. Cette dose est létale en une heure. Autant dire que les opérations de démantèlement sont reportées à la Saint-Glinglin. La NRA a également évalué le césium contenu dans ces dalles qui sont constituées de plusieurs parties : 20 à 40 pétabecquerels de césium 137 dans le bouclier du réacteur n°2 et autour de 30 pétabecquerels pour celui du réacteur n°3.
C’est là qu’il faut rappeler ce qu’est un pétabecquerel : un million de milliards de becquerels. Pour seulement ces deux réacteurs, nous avons donc encore sur place, juste à l’entrée des puits de cuve, une soixantaine de pétabecquerels de césium 137, soit autant que ce qu’on estime s’être échappé de la centrale en mars 2011.
C’est là aussi que l’on voit une différence entre la NRA et Tepco. Avec Tepco, on n’a jamais eu ces données. On retrouve cette différence de comportement dans la diffusion de vidéos d’inspections des réacteurs : alors que Tepco a tendance à cacher toutes les images de l’intérieur, la NRA diffuse très rapidement les visites des réacteurs et met toutes ses enquêtes en ligne.
Pour les visites de la NRA, c’est ici : Réacteur 1 : https://youtu.be/L_ziRb1-UeE ; Réacteur 2 : https://youtu.be/QBi912E-wIQ ; Réacteur 3 : https://youtu.be/c5T456NE3lg ; Réacteur 3 (bis) : https://youtu.be/U884fbhFiF8
Intérieur du bâtiment réacteur 3 – Capture écran vidéo NRA 2020
Du corium pour l’éternité
Selon la SFEN (société française de l’énergie nucléaire), les robots, non encore conçus pour l’instant, qui récupéreront les coriums de Fukushima pourront entrer en action dès 2022. Ceux-ci pourront, toujours d’après cette association propagandiste (*), retirer à terme quelques kilogrammes de corium par jour, ce qui permettra d’extraire la totalité de cette matière au bout de 20 à 30 ans (si toutefois une partie ne s’est pas enfoncée trop profondément dans le sol). Vérifions cette assertion. Imaginons que ce soit vrai et que l’on puisse retirer, soyons optimistes, 5 kg par jour (je rappelle que pour l’instant, on a juste réussi à déplacer quelques grammes de quelques cm). Au bout de 20 ans, 36,5 tonnes seront retirées. Au bout de 30 ans, 55 tonnes. En sachant qu’on estime à 880 tonnes la masse des coriums de Fukushima, il faudra en fait, avec un rythme de 5 kg/jour, près de 500 ans. Mais si c’est 2,5 kg par jour, ce sera mille ans ! Le problème, c’est que les bâtiments réacteurs, construits en béton armé, ne résisteront pas au temps. Les séismes et les explosions de mars 2011 ont fragilisé les structures et le dernier séisme du 13 février 2021 a agrandi les failles dans lesquelles s’engouffre l’eau contaminée. Il est donc probable que les bâtiments réacteurs, rongés par la rouille et l’éclatement des bétons, tomberont en ruine avant même qu’on ne puisse terminer cette opération. Dans 50 ans, les réacteurs auront un siècle…
(*) La SFEN avait en effet annoncé imprudemment pour 2015 « l’évacuation des piscines des réacteurs 1 à 3 ». 6 ans après cette prédiction scientifique, seule la piscine n°3 a été vidée sur les 3 citées (la n° 4 avait été vidée l’année précédente).
La bonne blague de la digue
Quand on regarde la centrale, on voit que la digue portuaire est une structure ouverte, conçue pour briser les vagues et protéger le port et ses équipements à un niveau normal de l’océan. Ainsi, quelle que soit la hauteur de ce type de digue, l’eau peu s’engouffrer dans le port et inonder la centrale. 10 ans plus tard, est-ce que Tepco a construit une véritable digue empêchant l’eau d’inonder à nouveau le site ? Non, le port est toujours accessible aux bateaux. Montrer cette digue en coupe pourrait faire croire qu’elle peut empêcher l’eau de mer de s’engouffrer. Mais ce n’est pas vrai. La digue permet de briser la puissance des vagues mais n’empêche pas l’inondation. Donc on peut prédire facilement que lors du prochain tsunami de plus de 10 mètres de hauteur qui s’abattra sur la centrale, l’eau s’y engouffrera de la même manière qu’en 2011. Avec un démantèlement prévisible d’au moins un siècle, quelle est la probabilité pour qu’un tsunami survienne ? Je laisse les statisticiens faire des prévisions en sachant que, depuis un siècle, il y a eu 8 tsunamis de plus de 10 m de hauteur sur la côte pacifique du Japon. Dans tout accident, tous les secouristes savent que la première chose à faire est de protéger, avant même d’alerter et de secourir, pour éviter d’autres victimes. Dans le cas du super accident de Fukushima Daiichi, une digue anti-tsunami (**) aurait ainsi dû être construite dès 2011 pour éviter qu’une deuxième inondation ne survienne. Cette inondation est donc programmée puisque, 10 ans plus tard, la centrale n’est toujours pas protégée.
(**) Pour les curieux, voici un véritable mur anti-tsunami, construit à la centrale de Hamaoka : http://img.over-blog-kiwi.com/0/54/77/39/20160223/ob_ff3124_2.jpg
Manipulation d’étude scientifique
L’UNSCEAR n’en est pas à son premier forfait. Cette institution scientifique émanant de l’ONU est chargée de notre protection radiologique. Sauf que depuis qu’elle existe, elle n’a eu de cesse de se plier à une sorte de dogme (donc non scientifique) qui énonce que les faibles doses de radioactivité ne sont pas dangereuses pour la santé. Ainsi, en 1979, les habitants autour de Three Mile Island ont connu une augmentation de 20 % de l’incidence de cancer mais l’UNSCEAR n’en a pas tenu compte et a annoncé que le nuage radioactif n’avait pas eu d’effet. En 1986, dès que le nuage radioactif de Tchernobyl a sillonné l’Europe, l’UNSCEAR s’est empressé de dire qu’il n’était pas nécessaire de se confiner et que la prise de pastilles d’iode était superflue. A propos, le professeur Pellerin, qui a fait arrêter le nuage de Tchernobyl à la frontière de la France, était chef de la délégation française à l’UNSCEAR ; tout s’explique (***). En 2014, l’UNSCEAR a émis un rapport sur Fukushima disant que tout allait bien et que le nombre important de cancers de la thyroïde s’expliquait non pas par la radioactivité de l’iode 131 qui se fixe dans la thyroïde mais par un surdiagnostic ou un effet de dépistage. C’est donc sans étonnement aucun que l’on voit l’UNSCEAR reprendre ces mêmes conclusions et signer un nouveau rapport, publié avant-hier, confortant les conclusions de celui de 2014.
Des scientifiques indépendants s’inquiètent. Hisako Sakiyama, qui a été, en tant que chercheuse à l’Institut National des Sciences Radiologiques du Japon, membre de la commission d’enquête mandatée par la Diète sur la catastrophe nucléaire de Fukushima, a révélé samedi dernier que le protocole de restitution des résultats de l’enquête sur les cancers de la thyroïde a été modifié en cours de réalisation afin de cacher la corrélation entre le taux de radioactivité et le taux des cancers. Et cette manipulation a été faite en utilisant des estimations réalisées par… l’UNSCEAR. Aux dernières nouvelles, il y a 252 cas de cancers de la thyroïde suspectés, dont 202 ont été confirmés après une intervention chirurgicale. Or, selon le taux d’incidence du cancer de la thyroïde au Japon avant le 11 mars 2011, il n’aurait dû y en avoir qu’une dizaine en 2021.
(***) Même sans l’UNSCEAR, la France a toujours eu le réflexe de cacher et de minimiser les conséquences néfastes du nucléaire. Par exemple, suite aux graves accidents nucléaires à la centrale de Saint-Laurent-des-Eaux en 1969 et 1980, aucune étude épidémiologique n’a été réalisée vis-à-vis de la population vivant à proximité de la centrale.
Des fuites plus conséquentes et de l’eau contaminée en pagaille
Conséquence du séisme du 13 février dernier, ça fuit encore plus aux réacteurs 1 et 3. C’est-à-dire que le débit de l’eau contaminée qui part vers les sous-sols et la nappe phréatique augmente. Pas de chance pour Tepco qui souhaitait montrer, pour le 10ème anniversaire de la catastrophe, qu’il maîtrisait entièrement la situation. Autre conséquence du séisme, on a appris par la NHK qu’une cinquantaine de réservoirs de 1000 m3 s’étaient déplacés de 5 à 19 cm… Au sujet de ces réservoirs, l’industrie nucléaire et son autorité, l’AIEA, se font de plus en plus insistantes pour rejeter plus d’un million de tonnes d’eau contaminée dans l’océan. Mais la population et les pays voisins y sont opposés. Tepco, une nouvelle fois, s’est fait prendre à mentir au sujet de la décontamination de cette eau, elle n’est pas si propre que l’on veut bien le dire. L’opérateur a été obligé de reconnaître qu’il y restait des radionucléides peu recommandables… carbone 14, strontium 90, iode 129. Le carbone 14 est un élément radioactif à la durée de vie de 5730 ans ; une fois rejeté dans l’environnement, il peut intégrer le cycle du carbone et se retrouver au cœur des cellules des êtres vivants. Le strontium 90 est assimilé par le corps comme si c’était du calcium ; une fois fixé dans les os, il peut provoquer des cancers des os et des leucémies. L’iode 129, comme l’iode 131, est un isotope dont la radiotoxicité est importante du fait de son accumulation dans la thyroïde.
Concernant cette eau contaminée dont on ne sait que faire, Tepco affirme en retirer 62 radionucléides avec le système ALPS. En voici la liste : Ag-110m, Am-241, Am-242m, Am-243, Ba-137m,Ba-140, Cd-113m, Cd-115m, Ce-141, Ce-144, Cm-242, Cm-243, Cm-244, Co-58, Co-60, Cs-134, Cs-135, Cs-136, Cs-137, Eu-152, Eu-154, Eu-155, Fe-59, Gd-153, I-129, Mn-54, Nb-95, Ni-63, Pm-146, Pm-147, Pm-148, Pm-148m, Pr-144, Pr-144m, Pu-238, Pu-239, Pu-240, Pu-241, Rb-86, Rh-103m, Rh-106, Ru-103, Ru-106, Sb-124, Sb-125, Sm-151, Sn-119m, Sn-123, Sn-126, Sr-89, Sr-90, Tb-160, Tc-99, Te-123m, Te-125m, Te-127, Te-127m, Te-129, Te-129m, Y-90, Y-91, Zn-65.
Or, parmi ces éléments, 27 ont une période supérieure à 1 an. J’ai recherché tous les éléments dont la période est supérieure à 1 an (car encore décelables au bout de 10 ans) et j’en ai trouvé 91. J’en déduis que le système ALPS de Tepco ne traite pas 64 éléments. Parmi ceux-ci, se trouve le tritium qui se retrouve en grande quantité car étant sous forme d’eau tritiée, on peut difficilement le piéger. Or, comme pour le carbone 14, l’eau tritiée se retrouvera dans les cellules vivantes.
La piscine du réacteur 3 est vide
Tepco a fini de vider la piscine du réacteur 3 de son combustible (566 assemblages) le 28 février 2021. Il aura donc fallu presque deux ans pour accomplir cette opération complexe puisqu’elle avait commencé le 15 avril 2019. Les assemblages sont maintenant sécurisés dans la piscine commune du site de Daiichi. Ce qui est étrange, c’est que peu d’images ont filtré de cette opération sensible, contrairement au retentissement médiatique du vidage de la piscine 4 en 2014. Est-ce parce que des assemblages de MOX français y étaient entreposés ? On aurait aimé voir l’état du combustible car l’explosion du réacteur 3 le 14 mars 2011 n’a toujours pas été expliquée. On commence seulement à voir la NRA s’intéresser à étudier, 10 ans après, les différentes phases de cette explosion gigantesque. J’ai tout de même pu extraire d’une vidéo de Tepco une capture d’écran d’un assemblage qui semble avoir souffert car il a des couleurs bizarres et semble avoir des perforations. Son état a-t-il pu être causé par un accident de criticité ? (image ci-dessus)
À suivre…
Publié par Pierre Fetet dans au japon
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