9 avril 2019

Huit ans après Fukushima, où en est le Japon avec l’énergie nucléaire ?

Cet article de Cécile Asanuma-Brice, chercheuse en sociologie urbaine, a été publié le 11/03/2019 sur le site Géoconfluences, excepté le dernier paragraphe.

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Après la catastrophe de Fukushima, le gouvernement japonais a fermé tous les réacteurs du pays en urgence. Aujourd’hui, le Japon poursuit la réouverture progressive de ses réacteurs, tout en envisageant un recours croissant à d’autres sources d’énergie, parmi lesquelles les énergies renouvelables, secteur dans lequel le pays accuse, comme la France, un retard important. 

Une part réduite de nucléaire pour toujours plus d’énergie renouvelable

2018 fut une année clef dans le domaine de la politique énergétique au Japon. Le 3 juillet 2018, le premier ministre japonais a rendu publique le 5e plan sur l’énergie du pays, exposant les options retenues à l’horizon de 2030. La part du nucléaire sera baissée à 22 % soit une chute de 8 points comparativement à la part présente avant l’accident de Fukushima, qui était de 30 %.

Cette part du nucléaire dans le mix énergétique est actuellement beaucoup plus basse, suite à l’arrêt de la totalité des 54 réacteurs présents sur le territoire conséquemment à la catastrophe de Fukushima. Le Japon a depuis redémarré neuf d’entre eux, et planifie le redémarrage de huit autres supplémentaires, comprenant la construction de trois nouveaux réacteurs qui viendront remplacer ceux devant être fermés en raison de leur ancienneté.

Source originale : http://www.japc.co.jp/atom/atom_1-7.html

Source originale : http://www.japc.co.jp/atom/atom_1-7.html

Revenir à une part du nucléaire à 22 % implique le redémarrage de 30 réacteurs, et la construction de réacteurs neufs qui auraient pour objectif de remplacer ceux qui ne pourront être relancés en raison de leur vieillissement. Il semble bien pourtant qu’à terme, le Japon tende vers une diminution graduelle de la part de nucléaire.

Le gouvernement s’attend néanmoins à rencontrer des difficultés dans l’ouverture ou la réouverture de réacteurs, notamment pour l’obtention des accords locaux, d’autant que certaines centrales sont localisées à proximité de failles sismiques actives. Il sait qu’il devra faire face à une opposition forte de la part des citoyens et se préservait déjà de toutes remarques en spécifiant que les chiffres donnés n’étaient qu’une image de la direction vers laquelle le pays allait s’orienter (source : Asahi Shimbun, 4 juillet 2018).

Le premier ministre Abe spécifiait alors qu’il s’agissait là d’une politique de relance économique destinée à l’exportation plus que de l’ouverture d’un marché national. Mais les principaux investisseurs japonais, Hitachi et Mitsubishi, se retirent peu à peu du secteur. Dernièrement, c’est en Angleterre et en Turquie que leur participation à la construction de nouvelles centrales a été abandonnée. Les évolutions de coopérations avec la France sont également remises en cause.

Par ailleurs, la volonté de développer des possibilités de recyclage du combustible reste au point mort. La perspective de pouvoir construire une structure de recyclage des déchets usagés dans le village de Rokkasho n’a pas abouti. Le pays s’est pourtant fait rappeler à l’ordre par les États-Unis qui ont demandé au Japon de réduire sa part de plutonium, celle-ci ayant dépassé la limite critique des 47 tonnes, soit de quoi réaliser 6000 bombes atomiques du calibre de celle lancée à Nagasaki le 9 août 1945. (Yusuke Ogawa, Asahi Shimbun, 6 juillet 2018),

Seul le nucléaire verra son coût d’électricité augmenter

Madame Mika Obayashi, directrice de l’institut des énergies renouvelables, estimait lors d’une conférence à la délégation de l’Union Européenne à Tokyo en juin 2018, que désormais le développement du photovoltaïque concentre les intérêts. Le photovoltaïque représente une production de 400 GW à l’échelle de la planète. Au niveau mondial, on note la place prépondérante de la Chine (53 GW), ainsi que les progrès prometteurs du Japon qui occupe une place non négligeable, au 3e rang après la Chine et les États-Unis. La France, quant à elle, occupe la 8e place, soit l’avant dernière des dix principaux pays producteurs. L’éolien produit désormais 539,6 GW et là encore, la Chine remporte la première place, loin devant les autres pays avec une production de 188 GW, alors que les États-Unis sont au 2e rang, avec une production de 89 GW. La France est au 7e rang avec 13,8 GW et le Japon se trouve en dernière place avec 3,4 GW.

Mme Obayashi souligne que l’une des difficultés propre au Japon, pour un meilleur développement des énergies nouvelles, est liée aux problèmes de grid, d’interconnexion entre les différentes compagnies chargées de produire de l’électricité dans le pays, au nombre de dix, ainsi qu’à l’accès aux réseaux intelligents (ou smart grid, réseaux qui permettent d’ajuster les flux d’électricité aux demandes des consommateurs en temps réel) existants.

La croissance de la production des énergies renouvelables entraîne une baisse du coût des installations, par économies d’échelle. Cette baisse du coût des installations engendre, à son tour, une baisse du coût de l’électricité ainsi produite qui devrait atteindre les – 60 % en 10 ans. Une comparaison du niveau de coût de l’électricité par source de production met en évidence une chute importante du prix de l’électricité produite par le PV (Utility-scale PV, Mega-solar), dont la déflation atteindrait – 89 % en 2025. Pour les autres modes de production, la chute des prix serait de : – 67 % pour l’éolien, – 27 % pour les gaz combinés, – 8 % pour le charbon. Seul le nucléaire verra son coût d’électricité augmenter de 20 % en raison des coûts trop importants des installations, du renouvellement des mesures de sécurité suite à Fukushima, de la mise aux normes nécessaire, cumulée à l’ensemble des difficultés de gestion des déchets produits.

Au Japon, le nucléaire, déjà minoritaire avant l'accident, a été remplacé par le recours aux énergies fossiles et plus spécifiquement le gaz. La France se distingue des autres pays par la primauté donnée au nucléaire engendrant un retard notable dans le développement des énergies renouvelables.

Au Japon, le nucléaire, déjà minoritaire avant l’accident, a été remplacé par le recours aux énergies fossiles et plus spécifiquement le gaz. La France se distingue des autres pays par la primauté donnée au nucléaire engendrant un retard notable dans le développement des énergies renouvelables.

Le Japon planifie néanmoins d’agrandir son parc de centrales thermiques au charbon, détenues par les mêmes industriels que les centrales nucléaires dont les directives ne sont pas définies en fonction de priorités écologiques. Avec 46 nouvelles centrales prévues, pour un total de 20,8 GW, 14 sont en construction. Si les regards et analyses se portent sur les types de production d’énergie, un marché très lucratif, il est à noter que le problème de la consommation d’énergie ne semble pas mobiliser les esprits. C’est pourtant là que se trouve le coeur du problème : il ne peut y avoir de mode de production durable et approprié à notre niveau de consommation énergétique actuel. Les smart cities basées sur le tout électrique ne viendront qu’accroître une situation déjà criante.

Une France isolée dans ses choix énergétiques

Suite à l’accord de Paris, les différents pays engagés dans la course à l’énergie prévoient, dans leur ensemble, une réduction de la part du charbon dans la production énergétique. Le Japon est à contre-courant sur ce choix, prévoyant d’augmenter sa production. Une seule exception en la matière, la France, qui elle opte pour la fermeture de la totalité des centrales à charbon tout en minimisant le développement des autres énergies renouvelables et continue à miser sur le tout nucléaire, un mode de production qui occupe encore la très grande majorité de sa production électrique alors que l’ensemble des autres pays planifie une décroissance de leur part de nucléaire, déjà moindre. Si les risques de tsunami sont certainement limités en France, il n’en reste pas moins que les situations d’inondations dues à la montée des eaux marines en raison de la fonte des glaces, aux fortes précipitations dues au réchauffement climatique et à la sur urbanisation et la multiplication des couches bitumées excessives accroît considérablement les risques de submersion des centrales nucléaires françaises. La France est désormais le seul pays au monde qui, loin de suivre l’engouement pour les énergies renouvelables, continue à développer le nucléaire et décide la recapitalisation d’Orano, groupe qui a succédé à Areva dont la dette légendaire n’aura jamais été épanchée. En pleine période de tensions sociales, le gouvernement français fait néanmoins le choix d’aggraver son déficit public de 2,5 milliards d’euros, coût de la recapitalisation d’Orano. 

Cécile Asanuma-Brice
Chercheuse en sociologie urbaine, Maison franco-japonaise Tokyo UMIFRE 19-CNRS / Laboratoire CLERSE, Université Lille 1