Publié le 20 février 2023

pêcheurs déchargent leur pêche de fugu dans le port de de Matsukawaura
Des pêcheurs déchargent leur pêche de fugu dans le port de de Matsukawaura, le 19 janvier 2023 au Japon © AFP Philip FONG

Soma (Japon) (AFP) – Masahiro Ishibashi et ses collègues sont satisfaits: une nouvelle fois, ils rentrent au port avec leurs bateaux remplis de fugu, un poisson qui, une fois débarrassé de son poison mortel, est un mets d’exception de la gastronomie japonaise.

Les pêcheurs déchargent leur cargaison de fugu bien gras et tachetés de noir. Leurs familles, qui les attendaient, s’empressent de ramasser des poissons ayant glissé sur le quai: ils sont trop précieux pour être gaspillés.

« Nous pêchons des poissons attrayants et attirons l’attention des consommateurs. Nous pouvons leur montrer que le poisson de Fukushima est sûr et délicieux », se félicite M. Ishibashi, interrogé par l’AFP.

Leurs abondantes prises de fugu sont l’une des rares bonnes nouvelles pour ces pêcheurs depuis le terrible tsunami de 2011 et l’accident nucléaire de Fukushima qui s’est ensuivi à une cinquantaine de kilomètres de leur port de Matsukawaura, près de la petite ville de Soma (nord-est du Japon).

Des poissons fugu dans le port de Matsukawaura, le 16 janvier 2023 au Japon
© AFP Philip FONG

Des restrictions drastiques ont été appliquées pendant des années sur la vente de produits de la mer de Fukushima, comme ils risquaient de présenter des niveaux anormaux de radioactivité.

L’industrie locale de la pêche en a été très affectée, d’autant que ces mesures n’ont souvent pas suffi à rassurer les consommateurs, et les limitations ont seulement été levées depuis deux ans.

Une potentielle manne touristique

Les pêcheurs de Fukushima se sont récemment recentrés sur le fugu, en apprenant la pêche à la palangre, une technique adaptée à la capture de ce poisson. Leurs prises de fugu ont décuplé en trois ans, atteignant plus de 30 tonnes en 2022.

Yoshimasa Kanno, restaurateur à l’hôtel Minatoya, prépare un plat à base de fugu, le 19 janvier 2023 à Fukushima, au Japon
© AFP Philip FONG

Yoshimasa Kanno, un hôtelier-restaurateur local, est « ravi » de cette manne potentielle pour le tourisme dans le département.

« On avait l’habitude de servir du crabe des neiges en hiver. Cet endroit était connu pour cela. Mais depuis l’accident (nucléaire, NDLR) les pêcheurs ne peuvent plus en prendre autant qu’avant » car leurs zones de pêche ont été réduites, explique-t-il.

« Le fugu est délicieux et peut être servi à un bon prix », souligne M. Kanno, en train de préparer l’un de ces poissons pour en faire des sashimi (lamelles de poisson cru) et des fritures.

Ce poisson-globe contient un poison extrêmement puissant, la tétrodotoxine, qui paralyse les muscles et entraîne l’arrêt respiratoire de celui qui l’ingère.

Une potentielle manne touristique

Le fugu est toutefois autorisé à la consommation au Japon, mais il ne peut être préparé que par des chefs dotés d’une licence spéciale comme M. Kanno.

Le spectre de l’eau de Fukushima

Mais une nouvelle menace plane désormais sur l’avenir des pêcheurs de Fukushima.

Les autorités japonaises ont donné leur feu vert pour rejeter progressivement dans l’océan Pacifique plus d’un million de tonnes d’eau contaminée provenant de la centrale de Fukushima, les capacités de stockage sur le site arrivant à saturation.

pêcheurs déchargent leur pêche dans le port matsukawauara
Des pêcheurs déchargent leur pêche dans le port de Matsukawaura, le 19 janvier 2023 au Japon
© AFP Philip FONG

Provenant de la pluie, de nappes souterraines ou des injections d’eau nécessaires pour refroidir les cœurs des réacteurs nucléaires de la centrale entrés en fusion en 2011, ces énormes masses d’eau ont été en grande partie dépolluées mais le tritium n’a pas pu être éliminé.

Selon des experts, ce radionucléide n’est dangereux qu’à hautes doses concentrées.

Une situation a priori exclue dans le cas d’un rejet en mer étalé sur plusieurs décennies, l’option retenue par Tepco, l’opérateur de la centrale. Le processus doit démarrer cette année, sous la supervision de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).

Pour Masahiro Ishibashi, cette solution est inacceptable. « Nous avons vraiment travaillé dur pour regagner la confiance des consommateurs, mais cela va anéantir nos efforts », redoute-t-il.

Le pêcheur Masahiro Ishibashi sur le port de Matsukawaura, le 19 janvier 2023 à Fukushima, au Japon
© AFP Philip FONG

Pour soigner l’image de leurs produits, les associations de pêche de Fukushima continuent de contrôler volontairement les niveaux de radioactivité de toutes leurs prises et s’imposent des normes plus sévères que celles des autorités publiques.

Si les eaux de la centrale de Fukushima sont évacuées dans l’océan, « je crains fort que la pêche dans cette région ne s’en remette pas », confie aussi le chef cuisinier Yoshimasa Kanno.

© AFP