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Catégorie : Japon 2021

Fukushima : Tokyo tétanisé…

Fukushima : Tokyo tétanisé devant l’insoluble problème de l’eau contaminée

Le gouvernement japonais et Tepco veulent relâcher en mer, comme le font les autres centrales de la planète, le million de litres d’eau chargée en tritium. Mais ils se heurtent au refus des pêcheurs et des associations de défense de l’environnement.

Voici les 1,24 million de mètres cubes d'eau stockés pour l'instant dans plus d'un millier de citernes géantes près des quatre réacteurs détruits en mars 2011.
Voici les 1,24 million de mètres cubes d’eau stockés pour l’instant dans plus d’un millier de citernes géantes près des quatre réacteurs détruits en mars 2011. (Ichiro Ohara/AP/SIPA)
Publié le 11 mars 2021 à 12:30

 

Surtout, ne rien dire. A chaque sortie dans la région de Fukushima, les dirigeants japonais rivalisent de formules creuses pour ne pas se prononcer sur la gestion épineuse de l’eau « contaminée » qui s’est accumulée en dix ans dans la centrale détruite.

De passage le week-end dernier à Minamisoma, juste au nord du site, le premier ministre, Yoshihide Suga a indiqué que le gouvernement déciderait d’une politique d’élimination « au moment opportun et de manière responsable ». Il n’a évoqué ni calendrier, ni méthode pour éliminer les 1,24 million de mètres cubes d’eau stockés pour l’instant dans plus d’un millier de citernes géantes près des quatre réacteurs détruits en mars 2011.

Mur de glace artificielle

Chaque jour, Tepco, l’électricien en charge de la centrale de Fukushima Daiichi, doit gérer 140.000 litres d’eau supplémentaires. Cette eau provient soit du système de refroidissement des coeurs des réacteurs 1, 2 et 3, soit des écoulements naturels souterrains qui s’infiltrent toujours, malgré la mise en place de nombreux dispositifs, dont un mur de glace artificielle, dans les sous-sols des bâtiments ravagés.

Une fois pompée, cette eau, qui se charge en éléments radioactifs lors de son passage dans les réacteurs, est transférée dans une série de systèmes de retraitement construits sur place. Mais ces successions de filtres et de réactions chimiques n’éliminent, au mieux, que 62 des 63 radionucléides qui la contaminent. Surtout, elles ne peuvent pas faire disparaître le tritium, un isotope radioactif de l’hydrogène très connu dans l’industrie du nucléaire.

Tepco et le gouvernement japonais rappellent que des dizaines d’autres complexes nucléaires de la planète, notamment ceux de La Hague ou de Tricastin en France, rejettent cette eau « tritiée » en mer ou dans des fleuves sans que cela pose le moindre problème sanitaire pour la faune ou les humains. Et ils se proposent d’appliquer la même procédure à Fukushima.

« Il y a peu de tritium dans l’eau stockée. Seulement, l’équivalent de 16 grammes dans un volume total équivalent à 500 piscines olympiques », martèle Yumiko Hata, la responsable de la gestion des déchets de Fukushima Daiichi au ministère de l’Industrie. Les autorités envisagent ainsi de relâcher progressivement sur vingt ans l’équivalent de ce que le site de La Hague relâche en… vingt jours.

Le report en question

Mais ce plan est critiqué par plusieurs associations et une partie des habitants de la zone. Greenpeace rappelle que 70 % de l’eau stockée va nécessiter un nouveau passage dans les systèmes de retraitement car elle affiche toujours, en plus du tritium, des taux de concentration de certains autres radionucléides supérieurs aux normes réglementaires.

L’organisation plaide donc pour un report de plusieurs années des programmes de rejet. Eventuellement, jusqu’en 2035. « Le stockage à long terme est possible. Il réduirait la quantité de tritium dangereuse (par désintégration naturelle), et serait l’option la moins dommageable pour l’environnement », détaille leur expert Shaun Burnie, dans son dernier rapport.

VIDEO. Vu du ciel, l’impact du tsunami de 2011 au Japon est toujours là

Opposition des pêcheurs

Une option rejetée toutefois par Tepco qui affirme qu’il atteint ses limites de stockage sur le site et a besoin rapidement d’espace pour enclencher les prochaines étapes du démantèlement des réacteurs. « On ne peut pas rejeter indéfiniment cette décision », pointe Yumiko Hata.

Moins catégoriques sur ces questions scientifiques, les pêcheurs de la région craignent surtout, eux, l’impact de cette eau sur la réputation, déjà très malmenée, de leurs produits. Bien que des tests systématiques très stricts montrent que leurs poissons sont sains et ne portent, à quelques rares exceptions près, pas de trace de contamination, les consommateurs continuent de les bouder.

L’an dernier, ils n’ont pu écouler que 4.500 tonnes de poissons et de fruits de mer, soit moins d’un cinquième de ce qu’ils vendaient en 2010, avant l’accident. Pour beaucoup d’entre eux, les rejets d’eau tritiée achèveraient de tuer leur filière.

Yann Rousseau (Correspondant à Tokyo)

 

Le Japon se fige…

Le Japon se fige pour les 10 ans de la catastrophe de Fukushima

Près de 22 500 personnes avaient trouvé la mort en 2011 après le séisme de magnitude neuf qui avait entraîné un gigantesque tsunami, puis un accident nucléaire.

Le Monde avec AFP – Publié aujourd’hui à 08h17, mis à jour à 11h03

Un homme se recueille devant une stèle en hommage aux victimes de la catastrophe de Fukushima, au Japon, le 11 mars 2021.

 

A 14 h 46, le Japon s’est figé, jeudi 11 mars, à l’heure exacte à laquelle le séisme avait frappé le pays, dix ans plus tôt. Une minute de silence a été observée dans tout le Japon, suivie à Tokyo d’une cérémonie où se sont exprimés l’empereur Naruhito et le premier ministre, Yoshihide Suga. Des sirènes ont retenti au même moment sur des plages du littoral où des personnes se sont recueillies les mains jointes en regardant vers la mer.

Le pays a commémoré jeudi le dixième anniversaire de la triple catastrophe du 11 mars 2011 – séisme, tsunami et accident nucléaire – qui a traumatisé durablement toute la nation.

Le lourd bilan humain de près de 22 500 morts ou disparus a été causé principalement par un gigantesque tsunami, dont les vagues hautes comme des immeubles se sont abattues sur les côtes du Nord-Est japonais peu après le tremblement de terre de magnitude 9. L’accident nucléaire qui a suivi à la centrale de Fukushima Daiichi, envahie par les flots, où les cœurs de trois des six réacteurs sont entrés en fusion, a rendu des villes entières inhabitables pendant des années à cause des radiations et forcé des dizaines de milliers de personnes à partir. Il s’agissait du plus grave accident nucléaire depuis celui de Tchernobyl (en Ukraine) en 1986.

« La magnitude des dégâts causés par la catastrophe est si profonde que la mémoire inoubliable de la tragédie persiste dans mon esprit », a déclaré l’empereur. « Notre nation a vécu plusieurs catastrophes qu’on peut considérer comme des crises nationales », mais « nos prédécesseurs ont surmonté chaque crise avec courage et espoir », a rappelé pour sa part M. Suga, assurant que le Japon regarderait « toujours vers l’avant ». Des messages de solidarité ont été envoyés du monde entier, notamment par le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres.

Nouveau séisme le 13 février

Des hommages publics et privés ont eu lieu toute la journée dans le nord-est du Japon, comme à Hisanohama, dans la ville côtière d’Iwaki (département de Fukushima), où Toshio Kumaki, 78 ans, s’est recueilli au lever du jour sur le mur anti-tsunami en béton construit après 2011. « Je viens marcher ici tous les matins, mais aujourd’hui, c’est un jour spécial », a-t-il dit en priant en direction du soleil levant.

A Miyagi, un des trois départements du nord-est les plus meurtris, des opérations de recherche ont été organisées par des habitants qui espèrent encore retrouver un être cher. Les restes d’une femme emportée par le tsunami d’il y a dix ans ont été identifiés la semaine dernière, libérant son fils d’une insoutenable incertitude et lui permettant, enfin, de faire son deuil.

Le Japon a tiré certaines leçons de la triple catastrophe, érigeant de nouveaux murs anti-tsunami toujours plus hauts, améliorant les systèmes d’alerte et les routes d’évacuation, mais le danger demeure. Un tremblement de terre de magnitude 7,3 est venu rappeler, le 13 février, les risques sismiques permanents au large du Japon. Plus d’une centaine de personnes avaient été blessées dans ce séisme, considéré comme une lointaine réplique de celui de 2011.

Ces commémorations ont eu lieu à deux semaines seulement du départ prévu, à Fukushima, du relais de la flamme olympique pour les JO de Tokyo 2020, baptisés « Jeux de la reconstruction ». L’ombre de la pandémie plane sur l’événement, reporté à cette année, mais gouvernement japonais et organisateurs espèrent que le relais permettra de recentrer l’attention sur cette région meurtrie.

« Des gens sont morts sous mes yeux »

Nayuta Ganbe, un étudiant de Sendai, capitale du département de Miyagi, s’exprime régulièrement lors d’événements sur le thème de la prévention des catastrophes, puisant dans son expérience personnelle du tsunami. Mais il préfère d’habitude se recueillir en privé le 11 mars.

« C’est le jour où j’ai perdu mes camarades de classe. Des gens sont morts sous mes yeux. C’est un jour que j’espère ne jamais avoir à revivre », confie le jeune homme aujourd’hui âgé de 21 ans. Cette année cependant, il a voulu participer à une cérémonie : « Exactement dix ans après, j’espère faire face à la catastrophe avec une nouvelle perspective », a-t-il expliqué à l’Agence France-Presse.

Pour beaucoup, cet anniversaire est l’occasion d’un moment de réflexion personnelle sur un drame national encore douloureusement présent avec des dizaines de milliers de personnes déplacées et 2 % de la superficie de Fukushima en zone interdite.

Le pasteur Akira Sato, qui prêchait dans plusieurs églises et chapelles baptistes encore aujourd’hui en zone interdite, devait se rendre dans un de ces lieux abandonnés pour se recueillir. « Mon épouse et moi-même allons réfléchir en silence sur les jours de la catastrophe et offrir une prière », avait-il déclaré au début du mois.

 

Le vendredi 11 mars 2011, à 14 h 46 heure locale (6 h 46 à Paris), un séisme sous-marin de magnitude 9,1 se produit à 130 kilomètres au large de l’archipel du Japon, dans l’océan Pacifique. Un puissant tsunami frappe ensuite la façade orientale de la région du Tohoku sur plus de 600 km de côte. La vague géante submerge les digues de protection et provoque des destructions massives dans les villes côtières. La mer envahit également la centrale de Fukushima Daiichi, provoquant le deuxième accident nucléaire le plus grave après celui de Tchernobyl (1986). Une coupure électrique et une défaillance des générateurs de secours ont empêché le bon fonctionnement du système de refroidissement, engendrant des explosions dues à la surchauffe, un nuage radioactif et un écoulement d’eaux contaminées dans le Pacifique. Au total, le bilan humain est lourd : 22 500 morts et disparus, dont une grande majorité sont engloutis par le tsunami.

Fukushima : Dix ans après, le gouvernement japonais …

Fukushima : Dix ans après, « le gouvernement japonais aimerait tourner la page, mais la réalité est bien plus compliquée »

INTERVIEW Il y a dix ans, le 11 mars 2011, l’accident nucléaire de Fukushima plongeait le Japon et le monde dans la frayeur. De l’histoire ancienne ? Pas pour les milliers de réfugiés qui peinent toujours à reprendre une vie normale, raconte la sociologue Cécile Asanuma-Brice

Propos recueillis par Fabrice Pouliquen

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Fukushima: Dix ans après, des villes toujours désertes — 20 Minutes

  • Le 11 mars 2011, un séisme et un tsunami au large du Japon provoquaient plusieurs explosions et la fonte de trois des six réacteurs de la centrale nucléaire de Fukushima Dai Ichi, l’une des plus grandes au monde alors.
  • Dix ans plus tard, la centrale est toujours à l’arrêt, la décontamination des zones évacuées toujours en cours, et parmi les 120.000 réfugiés officiels, tous n’ont pas retrouvé une vie normale.
  • Sociologue vivant au Japon, Cécile Asanuma-Brice a étudié ces dix dernières années les conséquences sociales de la gestion de l’accident. Notamment les effets collatéraux de la politique nippone, qui vise à encourager les retours à tout prix.

Le 11 mars 2011, au large du Japon, un séisme de magnitude 9 doublé d’un tsunami engendrait l’un des plus grands désastres industriels de l’ère moderne avec l’accident nucléaire de Fukushima. Les trois réacteurs entrés en fusion sont depuis à l’arrêt et, dix ans après, les opérations de décontamination sont toujours en cours.

Mais les conséquences de cette catastrophe nucléaire vont bien au-delà du périmètre de la centrale. Sociologue, chercheuse au CNRS et résidente permanente au Japon depuis 2001, Cécile Asanuma-Brice a étudié les conséquences sociales de la gestion de l’accident par les autorités nippones. Notamment sur les 160.000 réfugiés officiels qui peinent toujours à retrouver une vie normale. Un volet souvent oublié que Cécile Asanuma-Brice retrace dans  Fukushima, dix ans après [ed. Maison des sciences et de l’homme], qui vient de paraître. Elle répond à 20 Minutes.

La sociologue et chercheuse au CNRS Cécile Asanuma-Brice.
Qu’est-ce qui vous a poussée à étudier les conséquences sociales de la catastrophe nucléaire de Fukushima ?

D’abord parce que j’ai vécu ce désastre de l’intérieur. Le 11 mars 2011, j’étais à Ebisu, un quartier de Tokyo (à 260 km au sud  de la centrale), lorsque la terre a tremblé. Le séisme, le tsunami puis les explosions et la fonte de trois des six réacteurs de la centrale nucléaire de Fukushima Daïchi… Le Japon a vécu des moments d’intenses frayeurs. Le Premier ministre de l’époque, Naoto Kan, a été jusqu’à envisager l’évacuation de toute la moitié nord du pays, Tokyo comprise. Mission quasi-impossible. Le 15 mars, lorsque Tepco, le gestionnaire de la centrale, a annoncé son intention de l’abandonner, la conséquence aurait pu être de faire une croix sur l’existence même du Japon.

Au-delà du fait que ce sont des moments marquants, je me suis intéressée aux conséquences sociales de la gestion de l’accident, parce que cela avait un lien direct avec mes travaux sur la politique publique des logements à caractère social en France, puis au Japon. Or, après l’accident de Fukushima, très vite, le premier enjeu a été celui du logement, parce qu’il a fallu évacuer des milliers de gens.

Ce dixième anniversaire est-il l’occasion de tourner la page ?

Le gouvernement japonais l’aimerait beaucoup. Les JO de Tokyo * visent d’ailleurs à montrer que « Fukushima est sous contrôle », ce qu’avait assuré le Premier ministre Shinzo Abe dès 2013 au comité d’attribution des Jeux. Dès 2014, le gouvernement a mis en place une politique dont l’intitulé veut tout dire : « Communication du risque pour le retour ». Cette politique consiste à prôner la résilience [la capacité à surmonter les difficultés], à inciter les Japonais à acheter des produits agricoles de la région de Fukushima… Autrement dit, à donner l’impression que tout va bien et faire comprendre aux réfugiés qu’il va falloir songer à rentrer. En parallèle, depuis 2014, le gouvernement rouvre petit à petit les zones évacuées. En 2011, onze communes l’avaient été, représentant un territoire de 1.100 km². Ce périmètre a été ramené à environ 350 km² aujourd’hui.

 

La réalité est-elle plus compliquée ?

Oui, ne serait-ce parce que la décontamination n’est pas terminée. Elle a globalement marché là où on savait le faire. C’est-à-dire dans les zones urbaines et les terres cultivées dont la couche superficielle du sol a été raclée sur 5 à 10 cm, ce qui a permis d’enlever une grosse partie de la radioactivité.

Mais, même-là, ça reste inégal. Les compteurs Geiger affichent des niveaux de radiations parfois très élevées en certains endroits de zones rouvertes. Parfois même au-delà de 1 microsievert (μSv) par heure, quand le niveau de radiation naturel était de 0,04 μSv par heure avant l’accident. Surtout, la majeure partie du territoire évacué en 2011 est constituée de forêts, qu’on ne sait pas aujourd’hui décontaminer.

Un magasin et son distributeur de sucreries abandonnés à Okuma, dans la préfecture de Fukushima, le 27 février dernier.
Un magasin et son distributeur de sucreries abandonnés à Okuma, dans la préfecture de Fukushima, le 27 février dernier. – Philip FONG / AFP
Vous pointez aussi les conséquences sociales de cette catastrophe nucléaire…

Pour le département de Fukushima, les chiffres officiels ont fait état de 160.000 réfugiés **. Beaucoup ont été relogés dans des logements publics vacants ou dans des logements d’urgence construits très vite après la catastrophe. C’est déjà un premier signe de leur déclassement social qui a duré plusieurs années pour ces personnes. Ces logements provisoires d’urgence n’ont été détruits qu’à partir de 2017.

La politique du gouvernement axée sur la nécessité du retour les a stigmatisés un peu plus encore. En répétant que la situation est sous contrôle à Fukushima, qu’on peut y retourner vivre, des Japonais n’ont plus compris alors pourquoi ces réfugiés continuaient d’être aidés financièrement et se sont mis à les voir comme des assistés sociaux.

Pourquoi, dix ans après, peu de réfugiés retournent vivre dans les zones évacuées ?

En août 2019, seulement 35 % de la population était rentrée dans les onze communes évacuées en 2011. On peut y voir, sans doute en partie, une perte de confiance à l’égard des dirigeants politiques. On leur répète que la situation est sous contrôle alors qu’on méconnaît les dangers qu’il y a à s’exposer à des taux de radioactivité tels que l’on peut encore en rencontrer dans les zones touchées par la catastrophe.

Une part non négligeable des réfugiés expliquent aussi avoir refait leur vie ailleurs. C’est plus souvent le cas pour les jeunes couples et pour ceux qui se sont réinstallés dans les campagnes, où la vie est moins chère, les opportunités de travail parfois plus grandes et les discriminations à l’égard des réfugiés moins fortes.

Une aire de jeux abandonnée à Tomioka, dans la préfecture de Fukushima, dans une zone interdite après la catastrophe nucléaire de 2011.
Une aire de jeux abandonnée à Tomioka, dans la préfecture de Fukushima, dans une zone interdite après la catastrophe nucléaire de 2011. – Philip FONG / AFP
Les réfugiés les plus âgés sont-ils alors ceux qui acceptent de retourner dans les zones évacuées ?

Majoritairement. Mais ces retours ne sont pas sans poser de nouvelles difficultés. Iltate, par exemple, est un village de montagne situé à 40 km de la centrale, composé de fermes et de chalets relativement isolés les uns des autres. Il a été très touché par la catastrophe nucléaire, en particulier sa partie sud, qui reste zone interdite. Sur les 6.000 habitants que comptait Iitate, environ 25 % sont revenus. Mais très peu de services (médecins, commerces alimentaires…) ont rouvert et il faut faire quarante minutes de voiture pour aller à l’hôpital le plus proche. Une source d’angoisse importante pour ces réfugiés, d’autant plus qu’ils sont souvent âgés.

La problématique est différente dans les communes évacuées situées sur le front de mer. Comme Tomioka. La ville a pris de plein fouet le séisme, le tsunami et l’accident nucléaire. Il a fallu tout raser pour tout bitumer là où il y avait, avant, un vrai cœur de ville, un tissu urbain complexe mélangeant les époques. Beaucoup des habitants qui ont accepté de revenir ne s’y retrouvent plus, vivent même parfois un nouveau choc traumatique. Au point, pour certains, de se laisser mourir ou de sombrer dans l’alcoolisme.

Fukushima, villes fantômes

A Fukushima, la difficile renaissance d’anciennes villes fantômes

Takako (G) et Takao Kohata, dans leur maison à Minamisoma, préfecture de Fukushima, le 27 février 2021 – afp.com – Philip FONG
Masakazu Daibo devant le restaurant d’anguilles de sa famille à Namie, petite ville du nord-est du Japon, le 1er mars 2021 – afp.com – Philip FONG

Masakazu Daibo a rouvert le restaurant d’anguilles de sa famille à Namie, petite ville du nord-est du Japon qui avait dû être totalement évacuée après la catastrophe nucléaire de Fukushima en mars 2011. Mais il n’a quasiment aucun voisin.

Son établissement est toujours entouré de bâtiments abandonnés, envahis par les mauvaises herbes, dans ce qui était autrefois le centre-ville de Namie.

Une décennie après le puissant séisme sous-marin ayant déclenché le tsunami qui a lui-même causé le pire accident nucléaire au monde depuis Tchernobyl, les localités hantées par le désastre et la menace persistante des radiations s’interrogent toujours: comment rebâtir une communauté?

Jusqu’à 12% du département de Fukushima, soit plus de 1.650 km2, avaient été interdits d’accès dans les mois ayant suivi la catastrophe, et jusqu’à 165.000 habitants avaient évacué, par obligation ou par choix.

De nombreuses zones ont été déclarées à nouveau habitables par les autorités à la suite de travaux intensifs de décontamination ces dernières années.

Mais beaucoup des « déplacés » de Fukushima sont réticents à revenir, en dépit d’incitations financières de l’Etat et de loyers bon marché.

Masakazu Daibo, lui, a franchi le pas l’an dernier, reprenant le restaurant que tenait son grand-père à Namie avant la catastrophe, à environ neuf kilomètres de la centrale nucléaire accidentée de Fukushima Daiichi.

– Chiens errants, vaches et cochons –

Namie et 11 autres communes voisines faisaient partie d’une zone d’exclusion autour de la centrale, seulement accessible pour de brèves visites des années durant.

« Il n’y avait plus personne, mais la ville est restée. C’était comme un décor de cinéma », raconte à l’AFP M. Daibo, 65 ans. « Je voyais seulement des chiens errants, des vaches et des cochons ».

A cause des radiations, des murs du restaurant ont dû être abattus et Masakazu Daibo a dû jeter tout ce qu’il restait à l’intérieur.

Mais grâce à sa cuisine, le restaurateur espère que ses clients retrouveront le « goût d’antan ». « J’espère que ma présence sera un rayon de soleil pour cette ville ».

Les restrictions ont été levées pour seulement un cinquième du territoire de Namie, dont la population actuelle (1.580 habitants) représente à peine 7,5% de celle d’avant mars 2011.

Environ 36% des habitants sont âgés de 65 ans et plus, contre 29% pour la moyenne nationale. Les écoles de la commune accueillent seulement 30 élèves, contre près de 1.800 il y a dix ans.

Le Japon dans son ensemble est touché par un fort vieillissement démographique, mais pour Namie, « c’est comme si le futur dans 20 ans était arrivé d’un coup », explique Takanori Matsumoto, un responsable municipal.

« Survivre en tant que communauté est notre défi majeur », souligne-t-il.

Environ 337 km2, soit 2,4% de la superficie du département de Fukushima, demeurent actuellement inhabitables, et la population des déplacés est tombée à environ 36.000 personnes, selon des chiffres officiels, que de nombreux experts jugent toutefois largement sous-évalués.

Le gouvernement n’a pas fixé de date pour la levée des ordres d’évacuation restants, et de gros doutes persistent sur la durée du démantèlement de la centrale de Fukushima Daiichi, censé encore prendre de 30 à 40 ans.

Seulement 15% de la zone de décontamination spéciale délimitée par le gouvernement ont été complètement nettoyés à ce jour, a dénoncé l’organisation environnementale Greenpeace dans un rapport publié la semaine dernière, en se basant sur ses propres mesures des radiations.

– « Personne ne vient ouvrir » –

« Si j’étais seule, je reviendrais », assure Megumi Okada, une mère de famille partie de Fukushima après la catastrophe, bien qu’elle n’habitait pas dans une zone à évacuer.

« Mais en tant que mère, je veux vraiment éviter les risques pour mes enfants », ajoute Mme Okada, 38 ans, qui vit maintenant à Tokyo.

Et le retour a parfois un goût amer. Takao Kohata, 83 ans, est rentré à Minamisoma, au nord de la centrale accidentée, mais les parents de ses quatre petits-enfants ne les autorisent pas à lui rendre visite, par peur des radiations.

« Je comprends totalement leurs inquiétudes, mais je me sens un peu triste et solitaire », confie-t-il à l’AFP.

Masaru Kumakawa, 83 ans lui aussi, s’est réinstallé à Namie il y a trois ans, bien qu’il ait perdu ici sa femme dans le tsunami de 2011.

Tout en dirigeant une association visant à retisser des liens entre habitants, il a du mal à se rapprocher de ses voisins dans son nouveau lotissement.

« Ils ont vécu en tant qu’évacués pendant trop longtemps », dit-il. « On sonne à la porte, mais personne ne vient ouvrir ».

Par Shingo ITO
AFP – © 2021 AFP
Mise à jour 09.03.2021 à 09:00

Fukushima: 10 ans après,

Fukushima: 10 ans après, elle retourne voir sa maison abandonnée

Dix ans après l’accident nucléaire, les habitations de la zone de Fukushima sont encore désertées par leurs habitants. Malgré les incitations financières du gouvernement japonais à revenir.

Par Le Parisien avec AFP Le 7 mars 2021 à 17h33

 

Un bambou a poussé au milieu du salon. Hisae Unuma observe cette plante rappelant que dix ans ont passé depuis qu’elle a dû quitter sa maison à Fukushima. Le 11 mars 2011, un séisme a causé l’explosion de la centrale nucléaire. 160 000 personnes, dont Hisae Unuma et son mari, ont été évacuées de la région, en proie à un nuage radioactif.

Aujourd’hui, la Japonaise de 68 ans vit à Saitama et son mari est décédé d’un cancer il y a trois ans, mais elle est revenue voir son ancienne maison à Fukushima. Ce retour, ne lui donne pourtant pas envie de vivre de nouveau dans la région : « Il n’y a rien pour une vie ici. Je ne peux pas faire de courses et il n’y a pas d’hôpital, donc je ne peux pas imaginer construire une vie ici. »

Pourtant, 5 000 travailleurs japonais œuvrent quotidiennement pour décontaminer la zone et le gouvernement incite, avec des aides financières, les habitants à revenir. Mais Hisae Unuuma reste sceptique : « Et si une autre catastrophe se produisait ? Peu importent les tremblements de terre, ces réacteurs pourraient exploser si quelqu’un laissait tomber un outil au mauvais endroit. »

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