Fukushima : Tokyo tétanisé devant l’insoluble problème de l’eau contaminée

Le gouvernement japonais et Tepco veulent relâcher en mer, comme le font les autres centrales de la planète, le million de litres d’eau chargée en tritium. Mais ils se heurtent au refus des pêcheurs et des associations de défense de l’environnement.

Voici les 1,24 million de mètres cubes d'eau stockés pour l'instant dans plus d'un millier de citernes géantes près des quatre réacteurs détruits en mars 2011.
Voici les 1,24 million de mètres cubes d’eau stockés pour l’instant dans plus d’un millier de citernes géantes près des quatre réacteurs détruits en mars 2011. (Ichiro Ohara/AP/SIPA)
Publié le 11 mars 2021 à 12:30

 

Surtout, ne rien dire. A chaque sortie dans la région de Fukushima, les dirigeants japonais rivalisent de formules creuses pour ne pas se prononcer sur la gestion épineuse de l’eau « contaminée » qui s’est accumulée en dix ans dans la centrale détruite.

De passage le week-end dernier à Minamisoma, juste au nord du site, le premier ministre, Yoshihide Suga a indiqué que le gouvernement déciderait d’une politique d’élimination « au moment opportun et de manière responsable ». Il n’a évoqué ni calendrier, ni méthode pour éliminer les 1,24 million de mètres cubes d’eau stockés pour l’instant dans plus d’un millier de citernes géantes près des quatre réacteurs détruits en mars 2011.

Mur de glace artificielle

Chaque jour, Tepco, l’électricien en charge de la centrale de Fukushima Daiichi, doit gérer 140.000 litres d’eau supplémentaires. Cette eau provient soit du système de refroidissement des coeurs des réacteurs 1, 2 et 3, soit des écoulements naturels souterrains qui s’infiltrent toujours, malgré la mise en place de nombreux dispositifs, dont un mur de glace artificielle, dans les sous-sols des bâtiments ravagés.

Une fois pompée, cette eau, qui se charge en éléments radioactifs lors de son passage dans les réacteurs, est transférée dans une série de systèmes de retraitement construits sur place. Mais ces successions de filtres et de réactions chimiques n’éliminent, au mieux, que 62 des 63 radionucléides qui la contaminent. Surtout, elles ne peuvent pas faire disparaître le tritium, un isotope radioactif de l’hydrogène très connu dans l’industrie du nucléaire.

Tepco et le gouvernement japonais rappellent que des dizaines d’autres complexes nucléaires de la planète, notamment ceux de La Hague ou de Tricastin en France, rejettent cette eau « tritiée » en mer ou dans des fleuves sans que cela pose le moindre problème sanitaire pour la faune ou les humains. Et ils se proposent d’appliquer la même procédure à Fukushima.

« Il y a peu de tritium dans l’eau stockée. Seulement, l’équivalent de 16 grammes dans un volume total équivalent à 500 piscines olympiques », martèle Yumiko Hata, la responsable de la gestion des déchets de Fukushima Daiichi au ministère de l’Industrie. Les autorités envisagent ainsi de relâcher progressivement sur vingt ans l’équivalent de ce que le site de La Hague relâche en… vingt jours.

Le report en question

Mais ce plan est critiqué par plusieurs associations et une partie des habitants de la zone. Greenpeace rappelle que 70 % de l’eau stockée va nécessiter un nouveau passage dans les systèmes de retraitement car elle affiche toujours, en plus du tritium, des taux de concentration de certains autres radionucléides supérieurs aux normes réglementaires.

L’organisation plaide donc pour un report de plusieurs années des programmes de rejet. Eventuellement, jusqu’en 2035. « Le stockage à long terme est possible. Il réduirait la quantité de tritium dangereuse (par désintégration naturelle), et serait l’option la moins dommageable pour l’environnement », détaille leur expert Shaun Burnie, dans son dernier rapport.

VIDEO. Vu du ciel, l’impact du tsunami de 2011 au Japon est toujours là

Opposition des pêcheurs

Une option rejetée toutefois par Tepco qui affirme qu’il atteint ses limites de stockage sur le site et a besoin rapidement d’espace pour enclencher les prochaines étapes du démantèlement des réacteurs. « On ne peut pas rejeter indéfiniment cette décision », pointe Yumiko Hata.

Moins catégoriques sur ces questions scientifiques, les pêcheurs de la région craignent surtout, eux, l’impact de cette eau sur la réputation, déjà très malmenée, de leurs produits. Bien que des tests systématiques très stricts montrent que leurs poissons sont sains et ne portent, à quelques rares exceptions près, pas de trace de contamination, les consommateurs continuent de les bouder.

L’an dernier, ils n’ont pu écouler que 4.500 tonnes de poissons et de fruits de mer, soit moins d’un cinquième de ce qu’ils vendaient en 2010, avant l’accident. Pour beaucoup d’entre eux, les rejets d’eau tritiée achèveraient de tuer leur filière.

Yann Rousseau (Correspondant à Tokyo)