Fukushima : 7 ans de réflexion
7 ans après Fukushima, a-t-on tiré les leçons de ce qu’est une catastrophe et de sa gestion ?
Retour sur la catastrophe de Fukushima survenue il y a 7 ans, à l’occasion de la parution de Fukushima et ses invisibles, cahiers d’enquêtes politiques, un ouvrage collectif, paru aux éditions des mondes à faire. Ce livre rassemble des témoignages de japonais engagés contre la gestion de la catastrophe, mais au-delà de cette dimension politique indéniable, ce livre pose à nouveaux frais la question de la catastrophe et de sa gestion. Toujours singulière, une catastrophe ne cesse précisément de défier l’universalité présumée de nos règles et normes pour agir. Mais comment faire alors quand la vie doit reprendre son cours alors que tout a changé ?
La catastrophe de Fukushima s’est déroulée en trois temps.
Le 1er, c’est celui que l’on devine à travers les sons de cette vidéo : le vendredi 11 mars 2011 à 14h46 un tremblement de terre de magnitude 9 a frappé le nord-est du Japon, 51 minutes plus tard des vagues de plus de 15 mètres ont pénétré à l’intérieur des terres. Mais ce n’est qu’en 2015, 4 ans plus tard, qu’on a obtenu un bilan chiffré du séisme et du tsunami : 15 894 morts, 6152 blessés et 2562 disparus.
Mesurer, quantifier, établir des modèles, des données, des statistiques, c’est une manière de procéder face à une catastrophe. Mais c’est aussi tout son problème : sa quantification ne dira rien de ce qu’elle a été, de sa valeur, ni de ce qu’elle a produit sur les habitudes, les mentalités, les mœurs des japonais qui ont subi Fukushima. Sa mesure ne dira rien de sa démesure.
Faut-il alors renoncer à appréhender toute catastrophe ? Faut-il faire comme si de rien n’était ? Paradoxalement, c’est ce qui s’est passé avec Fukushima : on a administré, on a géré, on a refroidi l’événement. Reprendre la vie telle qu’était, normale, avec les mêmes centrales nucléaires, le même gouvernement, les mêmes quotidiens.
Le 2ème temps de la catastrophe de Fukushima, c’est l’explosion de réacteurs 1, 3 et 2, dès le 12, à la centrale Fukushima-Daiichi, entraînant incendies et contamination sur plusieurs années, encore maintenant et même en faibles doses. Singulière, démesurée, une catastrophe ne se finit en plus jamais. Comment appréhender un événement dont on peut sûrement décrire le déroulement, les épisodes successifs en chiffres et en faits, dans l’espace et dans le temps, mais qui, pourtant, continue de s’étendre, de durer, d’exploser en sourdine ?
Cette fois-ci, ce n’est pas que le problème de la démesure de l’événement, impossible à saisir, mais de la démesure de ses effets. Ce n’est pas que le bouleversement à un instant T qui a eu lieu, c’est un bouleversement continu, une révolution en long, qui pourtant ne s’est pas accompagné de la part des politiques d’un changement de modèle, ou au moins, de règles et d’usages. Encore une fois : comment faire ? Reprendre la vie normale est absurde, mais reprendre une vie sans normes semble impossible…
3ème moment de Fukushima : on y est encore, et c’est tout la question posée ici : sa gestion. Comment gérer la démesure ? Comment gérer, comme l’indique le titre du livre, « Fukushima et ses invisibles », à savoir son bouleversement inquantifiable, sa révolution distendue, mais aussi toutes les histoires particulières qui constituent la catastrophe, ces expériences individuelles racontées dans ce recueil, les sensibilités de chacun ?
En exergue du livre, il y a cette citation de Walter Benjamin : « Que les choses continuent comme avant, voilà la catastrophe ». Faire comme si rien n’était est une catastrophe, reste désormais à repenser, à redéfinir, je cite, « la réalité de la réalité ». Et c’est peut-être cela l’enjeu d’une catastrophe : moins la définir, elle, que repenser toute notre réalité.
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