Est-il vrai que l’accident nucléaire de Fukushima n’a causé aucun mort ?
Par Olivier Monod 20 avril 2019 à 09:18
Depuis l’accident nucléaire de Fukushima, il y a sept ans, la question du bilan est la source de beaucoup de commentaires et d’interprétations
Question posée par Clément le 08/04/2019
Bonjour,
Le 11 mars 2011, un séisme suivi d’un tsunami entraînait un accident nucléaire à la centrale de Fukushima au Japon (explosions et rejets radioactifs). Depuis, tout et son contraire a été écrit sur le bilan humain de cette catastrophe.
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En 2016, Libération reprenait les chiffres de la police nationale japonaise sur le bilan global de la catastrophe : «15 894 personnes sont mortes et 2 561 sont toujours portées disparues. Plus de 6 100 autres ont été blessées. Sur les 470 000 personnes qui ont été évacuées à la suite du tsunami et des menaces radioactives, 174 000 résident toujours hors de chez elles dont 100 000 pour la seule préfecture de Fukushima.»
La même année, Capital évoquait les mêmes ordres de grandeurs mais semblait les attribuer au seul accident nucléaire : «Des villes entières rasées dans le nord-ouest du pays qui encore aujourd’hui demeurent inhabitables, près de 160 000 habitants délogés, plus de 15 000 morts, des risques de cancers avérés… cinq ans après la catastrophe nucléaire reste un traumatisme pour tous les Japonais.»
En 2017, Le Point évoquait «1 700 cancers mortels directement liés à la catastrophe nucléaire».
La Revue générale nucléaire affirmait, elle, que «l’accident de Fukushima n’est en rien responsable des 18 000 décès qu’on lui attribue : il n’en a fait aucun». Cette dernière affirmation étant à mettre en regard avec la tribune de 2014 publiée par Libération et signée par Cécile Asanuma-Brice, chercheuse associée au centre de recherche de la Maison franco-japonaise de Tokyo, qui dénonçait vivement cette «légende du zéro mort».
En fait, le bilan dépend de ce dont on parle. Victimes du séisme, du tsunami, des radiations ? Victimes des travaux sur la centrale, de l’évacuation des populations ? Sans compter que le nombre de victimes change selon le périmètre géographique retenu : la seule préfecture de Fukushima ou toute la zone côtière touchée.
19 630 morts suite aux catastrophes
Interrogé par CheckNews, l’ambassade du Japon donne un bilan global de la catastrophe, sept ans après : au 1er mars 2018, il s’élève à 19 630 décès et 2 569 disparus. La préfecture de Fukushima, sur son site Internet, évoque, elle, 4 097 victimes sur son territoire. Ces bilans agrègent les victimes quelles que soient les causes. La majeure partie sont mortes en raison du tsunami et du séisme.
L’affirmation de la Revue générale nucléaire selon laquelle «l’accident de Fukushima n’est en rien responsable des 18 000 décès qu’on lui attribue et n’en a fait aucun» doit se comprendre en se limitant au seul accident nucléaire. Est-elle fondée?
Il faut considérer à la fois le personnel de la centrale, et la population.
Penchons-nous d’abord sur le cas des professionnels en poste sur site. Parmi les effectifs de la centrale, 16 travailleurs ont été blessés lors des explosions de la centrale entre le 12 et le 15 mars, mais aucun décès n’est à déplorer.
Depuis, des milliers de personnes ont travaillé sur la zone, étant exposés aux rejets radioactifs. Encore aujourd’hui, 7 000 personnes travaillent tous les moissur la centrale. Interrogé par CheckNews, la société d’exploitation Tepco affirme «s’assurer qu’ils ne dépassent pas la dose limite d’exposition de 50 milliSiverts par an et 100 mSv sur cinq ans». Ces précautions n’ont pas pu être respectées pour les premières équipes sur place après l’accident. Selon les données de Tepco, 173 travailleurs ont reçu plus de 100 mSv et 6 plus de 250 mSv.
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Ces expositions ont-elles eu une incidence sur la santé des salariés ? Sur les quelque 50 000 travailleurs qui se sont relayés sur le site depuis 2011, 16 ont déposé un dossier de demande de reconnaissance de maladie professionnelle. Cinq demandes ont été rejetées, six acceptées et les autres sont en cours d’étude. Un des six travailleurs dont la demande de compensation a été acceptée est décédé d’un cancer du poumon.
Par ailleurs, une dizaine de décès ont été observés parmi les travailleurs mais sans lien avec une exposition aux rayonnements ionisants (des arrêts cardiaques, des accidents ou autres).
En résumé pour les travailleurs dans la centrale : un mort et cinq malades ont été associés aux rayonnements, 10 morts ne sont pas associées aux rayonnements et 16 blessés en raison des explosions.
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La population
Qu’en est-il de la population? L’accident a eu deux conséquences : l’exposition à des radionucléides émis par la centrale, et l’évacuation des zones les plus touchées, qui a pu indirectement entraîner des décès.
Sur le volet sanitaire, et l’éventuelle exposition des populations, les autorités japonaises effectuent un suivi de la population de Fukushima au travers de plusieurs enquêtes sur la santé de la population, sa santé mentale, la santé des femmes enceintes et enfin le suivi de la thyroïde, l’accident de Tchernobyl ayant démontré que cet organe était particulièrement à risque en cas d’exposition à des composés iodés radioactif.
«Dans la population générale, il n’y a pas de décès attribué à l’exposition aux rayonnements ionisants», explique Dominique Laurier, chef du service de recherche sur les effets biologiques et sanitaires des rayonnements ionisants de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire.
Si aucun décès n’est donc à déplorer, y a-t-il une recrudescence des cancers de la thyroïde? Une enquête a été lancée dès 2011, visant une population de 360 000 résidents âgés de 0 à 18 ans. Les résultats de ces enquêtes sont traduits et suivis par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) sur son site. La campagne de détection donne 165 cancers avérés sur 202 cas suspects. «Il s’agit de nodules détectés en l’absence de signes cliniques», précise Dominique Laurier.
Comment interpréter ces chiffres bruts ? Le cancer de la thyroïde est un défi pour les épidémiologistes car son incidence dépend beaucoup de la méthode de diagnostic utilisé. Pour faire simple, plus on en cherche, plus on en trouve. Et encore, son incidence peut fortement varier d’une région à l’autre.
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Les autorités japonaises ont lancé quatre campagnes de dépistage dans d’autres régions pour comparer les résultats. L’IRSN conclut qu’«il est encore prématuré de se prononcer sur une éventuelle augmentation des cancers de la thyroïde consécutive à l’accident» mais ajoute que «plusieurs éléments indiquent que la fréquence élevée de nodules tumoraux thyroïdiens observés dans la préfecture de Fukushima est liée à l’effet du dépistage plutôt qu’à un effet des rayonnements ionisants».
En résumé pour la population exposée : il n’y a pas eu de décès ni de maladie dont l’origine radioinduite ait été démontrée, pour le moment.
Les évacuations
Reste le bilan humain liés aux évacuations. Au total, 470 000 personnes ont été évacuées. 53 000 étaient toujours hors de chez eux en janvier 2018 dont 4 000 dans des bâtiments préfabriqués temporaires. Il faut différencier celles consécutives au séisme, au tsunami et donc à l’accident nucléaire.
La population évacuée en raison de l’accident nucléaire vient uniquement de la préfecture de Fukushima, qui comptait 164 865 évacués en mai 2012 et encore 43 214 en décembre 2018.
Les fuites de la centrale ont très vite entraîné l’évacuation de 70 000 personnes provenant du premier cercle de 20 kilomètres autour de la centrale évacué dès le début de la catastrophe. Ensuite des nouvelles zones d’évacuation volontaire ou obligatoire ont été tracées entraînant un nouveau mouvement de population, dont l’estimation varie selon les sources.
L’évacuation peut entraîner des baisses de qualité de vie et fragiliser les populations. Elle est particulièrement sensible dans les hôpitaux et les maisons de retraite médicalisées. Selon un suivi réalisé sur certains établissements le taux de mortalité était trois fois plus élevé les trois mois suivants la catastrophe.
Sur les trois premières années, un article de recherche estime à environ 1600 le nombre de décès attribuables à l’évacuation. En 2018, la chercheuse Cécile Asanuma-Brice parle de 2 211 le nombre de décès «en raison de la mauvaise gestion du refuge».
L’Association pour le contrôle de la radioactivité dans l’Ouest, qui suit les conséquences de la catastrophe, évoque en 2019 un bilan de «2 267 décès indirects dus à des suicides ou à une dégradation des conditions de santé suite à l’évacuation».
En effet, le taux de suicide a augmenté tout de suite après l’accident chez les hommes évacués et trois ans après l’attentat chez les femmes, selon un article de recherche de 2018.
La prise en compte de ces décès imputables aux déplacements de population (environ 2200, donc) est un des principaux arguments des opposants à la thèse selon laquelle l’accident nucléaire n’aurait fait aucun mort.
Cordialement,Olivier Monod
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