Fukushima 7 ans après : « C’est une catastrophe inédite qui par définition n’est pas gérable »

L’ingénieur en physique nucléaire, Bruno Chareyron, a reconnu dimanche sur franceinfo que les scientifiques sont démunis sept ans après la catastrophe de Fukushima au Japon.

La centrale nucléaire accidentée de Fukushima (Japon), le 11 mars 2018.La centrale nucléaire accidentée de Fukushima (Japon), le 11 mars 2018. (AFP)

Sept ans après le tsunami qui a provoqué l’une des plus graves catastrophes nucléaires de l’histoire à Fukushima au Japon, la situation est toujours critique« La catastrophe de Tchernobyl a montré une épidémie de cancers de la thyroïde chez les jeunes enfants », a rappelé dimanche 11 mars sur franceinfo, Bruno Chareyron, ingénieur en physique nucléaire, responsable du laboratoire de la commission de recherche et d’information indépendante sur la radioactivité (Criirad). « Au moment de Fukushima, ça n’a pas été intégré correctement, parce que la population japonaise, n’a pas bénéficié d’une distribution de pastilles d’iode pour protéger la thyroïde », a-t-il analysé. « Que ce soit d’un point de vue sanitaire, financier, environnemental, c’est vraiment une catastrophe inédite et qui par définition n’est pas gérable », a-t-il estimé.

franceinfo : De nouvelles techniques sont développées pour limiter les contaminations comme des murs de glace et des robots. Malgré ces progrès techniques, est-ce que les scientifiques sont démunis face à l’ampleur du problème à Fukushima ?

Bruno Chareyron : Bien sûr, les scientifiques sont démunis, tout le monde est démuni face à l’ampleur du problème. Il y a trois cœurs de réacteurs nucléaires qui ont fondu. C’est une situation totalement inédite. Il faut penser à l’enfer radioactif dans lequel évoluent les travailleurs à Fukushima et qui tentent en permanence de maîtriser la situation. Depuis le début de la catastrophe, on parle de 40 à 50 000 travailleurs qui évoluent sur ce site très radioactif. Il faut penser à eux, à leur santé, au stress qu’ils subissent en permanence. Il faut avoir à l’esprit les enjeux économiques. Un institut japonais a évalué à plus de 500 milliards de dollars le coût de cette catastrophe et c’est probablement un coût qui est sous-évalué. Que ce soit d’un point de vue sanitaire, financier, environnemental, c’est vraiment une catastrophe inédite et qui par définition n’est pas gérable.

A-t-on retenu les leçons depuis Tchernobyl, notamment au niveau des techniques mises en place pour combattre ce type de catastrophes ?

Les techniques et les savoirs ont évolué, mais malheureusement, on n’a pas tenu compte de ce qu’on a appris au moment de Tchernobyl. La catastrophe de Tchernobyl a montré une épidémie de cancers de la thyroïde chez les jeunes enfants. Au moment de Fukushima, ça n’a pas été intégré correctement, parce que la population japonaise, n’a pas bénéficié d’une distribution de pastilles d’iode pour protéger la thyroïde. Par ailleurs, l’eau est un vrai problème à Fukushima. Les matières hautement radioactives de ces trois cœurs de réacteurs qui ont fondu sont en contact avec les eaux souterraines. Tepco [l’opérateur japonais de la centrale accidentée de Fukushima], doit en permanence réinjecter de l’eau pour refroidir les réacteurs et cette eau rencontre l’eau des nappes phréatiques qui se contaminent. Tepco a accumulé plus d’un million de mètres cube d’eaux contaminées et personne ne sait comment les gérer à long terme. Actuellement, il y a une forte pression pour qu’une partie de ces eaux soient rejetée directement dans l’océan.

Quelles sont les conséquences de cette catastrophe au-delà du Japon ?

Les conséquences en termes de contamination radioactive. C’est ce que nous avons détecté en France avec le passage des masses d’air contaminées en 2011. Les conséquences les plus importantes, ce sont pour les personnes qui vivent encore dans les territoires contaminés et qui n’ont pas été évacuées ainsi que pour les personnes que le gouvernement japonais, en quelque sorte, force à revenir sur des zones qu’il n’est pas possible de décontaminer. Depuis le début de la catastrophe, le gouvernement japonais avec la complicité d’autres institutions internationales, essaie de minimiser l’ampleur de la catastrophe. C’est absolument inacceptable d’un point de vue éthique. Par rapport à la faune et à la flore, il y a des conséquences comme l’instabilité génomique, de petits mammifères qui vivent sur les sols contaminés, voient leur bagage génétique altéré, modifié et transmettent ensuite aux générations suivantes des anomalies génétiques. Au Japon, des études faites sur les singes, les oiseaux, les papillons, montrent des altérations, des difformités, des retards de croissance dans la région de Fukushima. Sur la faune, la flore, et sur l’homme, les conséquences de ce type de catastrophe nucléaire sont loin d’être complètement appréhendées.