A Fukushima, le drame du retour
Par Rédacteur le 12.04.2019 à 17h28
Sous la contrainte, 23% de la population réfugiée après la catastrophe du 11 mars 2011 est rentrée dans les communes de l’ancienne zone d’évacuation… Une tribune de Cécile Asanuma-Brice, chercheuse en sociologie urbaine, auteure de « Un siècle de banlieue japonaise. Au paroxysme de la société de consommation », aux éditions Métispresses, 2019.
Le retour à Fukushima.© CÉCILE ASANUMA-BRICE
En septembre 2019, l’un des matchs de la coupe du monde de rugby dont le Japon est organisateur, se tiendra au nord de Fukushima, dans le département d’Iwate, dans la région du Tohoku. En 2020, ce sera au tour du département de Fukushima d’accueillir le relais d’ouverture des jeux olympiques qui se dérouleront au Japon.
La décision d’accueil de ces évènements sportifs par le Japon a été décidée par les institutions internationales en 2013, alors que le 1er Ministre Abe déclarait, non sans bruit, que la centrale de Fukushima était » under control « . Depuis lors, il s’est lancé le défi de rouvrir l’ensemble de la zone d’évacuation autour de la centrale endommagée après le séisme, suivi du tsunami qui a fait plus de 20.000 morts, le 11 mars 2011.
Un véritable bras de fer
Pourquoi une telle politique de contrainte au retour sur des territoires ruraux, en proie au déclin démographique avant l’évacuation ? La gestion de l’accident nucléaire de Fukushima est l’occasion, pour les autorités internationales de gestion du nucléaire (AIEA, UNSCEAR, OMS, ICRP) omniprésentes sur le territoire japonais depuis les évènements, de montrer au monde qu’un accident de cette taille peut être surmonté. La prise en charge de l’évacuation des habitants est jugée comme trop coûteuse par ces organismes, qui avaient annoncé la couleur dès leur 3e symposium des » experts » les 8 & 9 septembre 2014. En grande partie infiltrés par les lobbys nucléaires qui rationalisent leur réflexion en terme de coûts-bénéfices (1). Si la sécurité du nucléaire est leur affaire, c’est en ce qu’elle permet l’acceptabilité de sa continuité. C’est la raison pour laquelle le seuil de radioactivité jugé » raisonnable » (2) pour le citoyen moyen, est passé de 1 à 20 msv/an depuis la catastrophe. Grâce à cette mesure, la réouverture d’une bonne partie de la zone d’évacuation a pu être effective à Fukushima. Il est fort à parier que cette zone d’évacuation ne sera plus, lors d’un prochain accident, où qu’il soit.
C’est donc un véritable bras de fer qui se poursuit actuellement entre les partisans et les opposants à la reconstruction dans le département de Fukushima, question liée à la relance ou non du nucléaire. La réouverture d’une partie de la zone d’évacuation reste un sujet extrêmement controversé, relativement à la retombée de spots radioactifs inégalement répartis dans les territoires évacués. Pourtant le gouvernement continue dans la trajectoire des directives annoncées qui accompagnent sa politique de relance d’une partie du parc nucléaire soit 9 des 54 réacteurs actifs avant l’accident.
Cela se traduit en premier lieu par la fermeture des cités de logements provisoires dans l’ensemble des trois départements touchés par la catastrophe et du relogement d’une partie des habitants dans des cités de logements collectifs.
La fermeture des logements provisoires
La politique de réouverture d’une partie des territoires contaminés de la zone d’évacuation autour de la centrale nucléaire de Fukushima-Daiichi s’est accompagnée de la coupure des aides financières aux réfugiés ainsi que de la fermeture progressive de l’ensemble des logements provisoires présents sur les trois préfectures touchées par la catastrophe : Iwate, Miyagi et Fukushima.
Déni ? Dans la gare de Fukushima, un compteur égrène les jours qui séparent des Jeux olympiques. Crédit Cécile Asanuma-Brice.
Sur l’ensemble des trois départements, en janvier 2019 il ne reste plus que 3418 personnes dans 1756 logements provisoires répartis sur 209 sites sur les 53.000 logements provisoires construits dans les trois départements au moment des faits. L’évacuation contrainte et mal accompagnée se traduit par des situations souvent dramatiques. Certaines cités de logements provisoires ne comptent plus qu’un ou deux habitants, laissés pour compte du relogement.
Les associations chargées du suivi sanitaire des habitants sont de moins en moins nombreuses et des voix s’élèvent sur l’abandon complet dans lequel se trouvent ces personnes. La fermeture des cités de logements provisoires est d’autant plus problématique pour les évacués de l’accident nucléaire contraints, pour partie, de rentrer dans des territoires encore pollués.
Le relogement en cités d’habitat collectif fixe les désagréments acceptés parce qu’on les croyait momentanés
Mais peu de personnes rentrent dans ces territoires encore hautement contaminés par endroit. Ainsi, dans la ville de Namie, la dernière a avoir été réouverte, et l’une des plus controversées en raison du taux de contamination encore extrêmement élevé (nous avons relevé des taux à 5 microsieverts /heure dans une voiture sur une route qui relie Namie à la ville de Fukushima le 22 mars 2019), seul 6,1% de la population initiale est rentrée. 9% de la population pour la ville de Tomioka et 18,5% pour le village d’Iitate. En moyenne, sur l’ensemble des territoires rouverts à l’habitat, seulement 23 % de la population est rentrée (3).
Une partie limitée des habitants a pu investir dans la construction d’un nouveau logement ailleurs. Ce n’est malheureusement pas le cas de la grande majorité de la population, relogée dans des logements collectifs publics construits à cet effet. Si les logements provisoires étaient particulièrement mal adaptés à la population évacuée (4), ces logements collectifs ne le sont guère plus. Les habitants de cette région étaient pour la plupart d’entre eux issus de la campagne et vivaient dans de vastes fermes avant la catastrophe. La vie dans ces espaces extrêmement confinés a été insoutenable pour beaucoup de ceux que nous avons interviewés (5).
Les personnes, souvent âgées, qui ne peuvent pas rentrer et qui ont dû accepter d’être relogées en logement collectif, voient leur calvaire se fixer pour aboutir à une situation désormais sans solution. Ils sont contraints de payer le loyer de ce nouveau logement et les charges qui lui incombent. Ce à quoi vient s’ajouter l’achat d’une alimentation qu’ils produisaient avant.
Ils se retrouvent isolés, sans lien avec la nature qu’ils côtoyaient au quotidien avant le désastre, sans leurs animaux interdits dans ces cités, et cela de façon désormais pérenne. En quelques mois, pour le seul département de Fukushima, ce sont 21 cas de morts en solitaire qui ont été dénombrées au sein des logements publics issus de la reconstruction (6).
Mesure des vies et des morts induites
Parmi les 2267 décès classés comme induits par le désastre nucléaire, 200 personnes seraient décédées du fait de la mauvaise gestion du refuge. L’espoir infiniment cultivé par les autorités d’un retour potentiellement possible dans les territoires d’origine n’a pas permis l’établissement d’une réelle politique du refuge. Dans l’attente, les familles ou individus n’ont pas déménagé pour refaire leur vie ailleurs, mais sont partis en transhumance d’hébergement en hébergement.
Les 200 décès recensés sont tous des personnes qui ont déménagé plus de six fois en huit années. Parmi elles 11 se sont volontairement donné la mort. Pendant ce temps, dans la gare de Fukushima, un compteur affiche les jours restant avant l’ouverture des jeux olympiques, qui s’ouvriront à grands frais, sur les lieux du désastre.
1) Cf. C. Asanuma-Brice (2014), La légende Fukushima, Libération.
2) Voir le principe A.L.A.R.A. As Low As Reasonably Achievable
3) 避難指示解除地域に今日中は23%, NHK Fukushima News, 1er mars 2019.
4) C. Asanuma-Brice (2019), Un siècle de banlieue japonaise : Au paroxysme de la société de consommation, Métispresses.
5) C. Asanuma-Brice (2018), Fukushima, l’impossible retour dans les villages de l’ancienne zone d’évacuation : l’exemple d’Iitate.
6) 災害住宅「孤独死」21件、NHK福島のニュース, 27 février 2019.
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